Photo : Fabienne Rose (2003)
Si la science-fiction de Richard Canal s’avère de manière très évidente s’organiser autour d’images, elle est également une littérature d’idées, et même une littérature très politique. Rien n’est simple, mais le propre d’un écrivain majeur n’est-il pas de provoquer joyeusement l’éclatement des grandes catégories et des petites étiquettes ? Richard Canal est bel et bien un écrivain majeur, et il l’est devenu en une bonne dizaine d’années : son premier roman est paru en 1986. Non seulement il a développé un style propre, non seulement ses écrits sont habités d’une thématique unifiée, mais il ne cesse d’alimenter sa littérature de préoccupations généreuses — et il le faisait en douceur dès 1985 alors que Serge Lehman était encore loin de songer à son entreprise de thriller futuristo-progressiste... Richard Canal, c’est peut-être un défaut désormais, est également un écrivain plutôt discret : son œuvre parle pour lui — et il n’est pas l’homme des déclarations tapageuses. Il est l’homme de son écriture.
Les faiseurs de prix littéraires ne s’y sont heureusement pas trompés. Que ce soit par des prix issus de jurys (Prix Solaris 1986 au Québec pour “CHOIX”, Grand Prix de la Science-Fiction française 1989 pour “Étoile”) ou par des distinctions décernées par un cercle plus ou moins élargi comprenant une part du lectorat du genre (deux Prix Rosny Aîné lors des conventions nationales françaises, en 1994 pour Ombres blanches et en 1995 pour Aube noire), les diverses facettes de l’œuvre de Richard Canal ont été mises en évidence. Nul ne songera à s’en plaindre.
Comme les jeunes écrivains réunis en 1978 par Philippe Curval dans la fameuse anthologie Futurs au présent, Canal a eu de la chance : ses textes ont très vite trouvé preneur — et il a su en profiter. Il est actif dans le genre depuis le début des années quatre-vingt. Rétrospectivement, on se prend à se dire qu’il eût été parfaitement à sa place au sein de la sélection curvalienne, s’il n’avait fait ses premiers pas dans le milieu lors de la convention française de Dijon, en 1982 seulement. Peut-être cette “chance” a-t-elle porté quelque peu son propre revers — Richard Canal confesse que bien des publications de ses débuts n’étaient pas parfaitement abouties, de ses premières nouvelles à Animamea (1). Mais quel jeune talent aurait refusé l’accueil empressé que lui fit Alain Dorémieux dans Fiction, dès avril 1983, alors que sa première publication fanzinesque datait seulement de l’année précédente ? Entre avril 1983 et avril 1984, le nom de Richard Canal apparaîtra quatre fois au sommaire de Fiction.
A dater des années quatre-vingt, il sera présent à peu près partout où la SF francophone s’exprimait, des dernières années de Fiction aux anthologies Univers de Pierre K. Rey, en passant par les recueils compilés par Richard Comballot pour les éditions Phénix (Mirages 1990 et Mirages 1991) ou la série Espaces Imaginaires de Gouanvic et Nicot, qui tentait de faire exister une SF francophone par-delà l’Atlantique nord. L’édition fanique n’a jamais été en reste (Espaces Libres, Vopaliec, A&A, Proxima, Yellow Submarine), non plus que les revues québécoises telles qu’Imagine ou Solaris. En 1989, son nom sera déjà présent au sommaire de La frontière éclatée, troisième volume de la Grande Anthologie de la SF, au Livre de Poche, qui soit consacré à la SF française sous les auspices de Herzfeld, Klein et Martel. En 1996, il est à nouveau de la première anthologie française originale parue depuis bien longtemps, Genèses, publiée par Ayerdhal chez J’ai Lu. Auteur majeur, il est devenu incontournable.Aujourd’hui [1997], Richard Canal est à la tête de onze volumes parus en... onze ans, douze si l’on compte la réédition de La malédiction de l’éphémère, ou neuf si l’on tient les trois tomes d’Animaméa (2) pour un seul et unique roman. Une bien belle bibliographie.
Bien que créateur d’une vision SF particulièrement cohérente, Canal n’est par ailleurs pas un intégriste du genre : le fantastique le titille de temps à autre, et son nom est également apparu au sommaire de la série d’anthologies de Dorémieux chez Denoël, Territoires de l’inquiétude, ainsi que dans un recueil paru chez Phénix, Ô, gouffres ! (Août 1990).
Dominique Warfa
(1) Est-ce ce jugement sur lui-même qui l’a poussé à corriger La malédiction de l’éphémère pour sa réédition chez J’ai Lu en 1996 ?
(2) Animamea, dans sa forme originale, formait un seul gros roman plutôt énorme (un million de signes avoue l’auteur !), d’abord refusé par Laffont, puis pseudo-accepté par Denoël sous réserve de refontes estimées non justifiées par Canal, finalement proposé au Fleuve. Avec les limitations évidentes de la collection, voilà la source des trois volumes. Villes-Vertige reprend et développe la thématique d’Animamea.
Galaxies, n°7, décembre 1997