Claude Miller est né le 20 février 1942 à Paris et a grandi à Montreuil (Seine-Saint-Denis) dans une famille juive laïque.
Son père, militant de gauche, ressemble au personnage qu’incarne Patrick Bruel dans Un secret, a raconté le réalisateur, qui le dépeint comme un homme à carrure d’athlète prenant ses distances avec son identité juive.
L’oncle de Claude Miller, Serge Miller, rescapé de Buchenwald, a raconté ses souvenirs dans Le Laminoir.
Enfant de la guerre, Claude Miller entra dans un cinéma à l’âge où la majorité de ses contemporains gambadaient au jardin d’enfants. En accompagnant d’abord ses parents, qui n’avaient pas les moyens de rémunérer une baby-sitter, dans les deux cinémas de la petite ville de banlieue que la famille habitait alors, Montreuil-sous-bois.
Puis en profitant de l’aubaine professionnelle du père, quelque temps ouvreur au Grand Rex, à Paris, dans l’immédiat après-guerre.
« Le Rex était une salle magique, immense, un peu à l’américaine, avec des étoiles dans le ciel. Pour moi, c’était la caverne d’Ali Baba.
Et mon père portait un bel uniforme comme celui du personnel du Radio City Hall de New York dans Radio Days de Woody Allen, une livrée rouge et or agrémentée d’une fourragère sublime », se souvenait-il en 2007 dans l’excellent livre qui retrace son parcours, Serrer sa chance.
Son père qui refusa de porter l’étoile jaune. « Sa détermination nous a sauvé la vie », disait le réalisateur, alors qu’une partie de sa famille fut déportée.
Claude Miller a signé de nombreuses transpositions, parmi lesquelles La Classe de neige (Prix du Jury au festival de Cannes), tirée du roman d’Emmanuel Carrère, un récit à la lisière du fantastique qui fait du secret un leitmotiv de ses films.
Une obsession dont l’origine est à chercher dans l’histoire familiale d’un enfant juif, né en 1942 : « Il n’y a pas beaucoup de survivants dans ma famille : la plupart de mes oncles, tantes et grands-parents ne sont pas revenus des camps de concentration, raconte le cinéaste. Enfant puis adolescent, je fus hanté par cette histoire traumatisante et anxiogène. J’en ai conçu des peurs et des phobies. J’étais un enfant craintif, mais quoi de plus normal puisque ma mère m’a porté dans la peur ?
Mais, bizarrement, c’était un thème dont je n’avais parlé dans aucun de mes films précédents. Au point même que dans L’Accompagnatrice, qui se déroule durant la Seconde Guerre mondiale, ce thème n’était même pas abordé. »
Ce non-dit et cette période de l’Histoire, Miller finira par les traiter de front dans Un Secret, d’après le récit de Philippe Grimbert. Un film profondément bouleversant, tout à la fois histoire d’une passion amoureuse que la guerre et la Shoah transforment en tragédie et récit d’un mystère, d’un non-dit familial qui marque à jamais un enfant. Autant de thèmes qui font écho directement à sa propre vie et à son œuvre.
À cette occasion, il répondait au journaliste du journal La Vie. Extraits :
La Vie : L’enfance, dans vos films et dans Un secret, est synonyme d’angoisses et de peur. Quels souvenirs conservez-vous de cette période ?
Claude Miller : J’ai plutôt des souvenirs mitigés de cette époque. Comme Philippe Grimbert, ma personnalité a été marquée par la guerre et l’Holocauste. Philippe Grimbert est né en 1948, moi en 1942.
Et j’ai forcément dû être marqué par l’angoisse de ma mère, en particulier pendant sa grossesse. L’image que je conserve d’elle est celle d’une femme à jamais tremblante et craintive.
La Vie : Vous êtes né dans une famille juive…
Claude Miller : Juive mais laïque ! Nous habitions Montreuil, en banlieue parisienne, et étions des petits bourgeois français parfaitement intégrés. Mes parents n’aimaient pas se définir comme juifs. Mon père était de gauche, lecteur de L’Humanité, et pour lui la religion était l’opium du peuple, selon la formule consacrée.
Par ailleurs, il avait une carrure d’athlète et il se défiait, comme le personnage de Maxime dans le film, de cette image du juif véhiculée par la propagande antisémite : malingre, pur esprit et trouillard. Il employait cette expression que j’ai mise dans la bouche de Maxime : « Ne fais pas ton juif oye ! oye ! »
Mais il y a eu la guerre et les neuf dixièmes de ma famille ne sont pas revenus des camps. Cette judaïté que nous taisions nous est revenue en pleine figure !
La Vie : Vous-même, vous interrogiez vous sur votre identité juive ?
Claude Miller : Oui, de manière intense, car, enfant, tout ce qui faisait écho à la Seconde Guerre mondiale me hantait. J’étais terrifié à l’idée que les nazis reviennent et mes premiers poèmes de la préadolescence étaient pleins d’épouvante, avec des types en pyjamas rayés…
La Vie : En parliez-vous avec vos parents ?
Claude Miller : Non, car leur discours était de l’ordre de « Cesse de ressasser ces histoires ! » ou « Ne dis pas que tu es juif. » Cette invitation à me taire ne faisant au contraire que créer chez moi une appréhension d’un danger indéfinissable.
La Vie : Et aujourd’hui, vous sentez-vous juif ?
Claude Miller : J’éprouve une empathie pour toutes les minorités persécutées et je suis sensible à toute forme de racisme.
La Vie : Vous vous dites athée, mais n’avez-vous pas le sentiment d’appartenir à une communauté, une famille spirituelle ?
Claude Miller : La notion de peuple élu me fait peur. Le berger juif de l’Antiquité n’était sans doute pas un grand esprit, mais pour des raisons culturelles et historiques, à cause du phénomène de la diaspora, le peuple juif a forcément puisé des richesses spirituelles dans tous les pays traversés.
La Vie : Un secret développe un autre thème qui vous est cher, celui de la transgression, autour de l’histoire d’un amour interdit…
Claude Miller : Nombre de films ou livres sur la guerre et l’Holocauste donnent le sentiment que les hommes et les femmes pris dans cette tourmente n’avaient aucune vie intime, sexuelle. Ce qui est déchirant dans le roman de Philippe Grimbert, c’est qu’une passion ravageuse vire à la tragédie à cause du contexte historique. Bien sûr, on est dans la transgression et les personnages sont emportés par ce torrent de la libido contre lequel on ne peut rien.