Le 3 avril 2012, Jean-Marc Quarin publiait son premier rapport sur les Bordeaux 2011 dégustés en primeur. Il annonce « Un millésime de qualité très hétérogène variant de moyen à excellent dans les rouges, avec de très bons vins liquoreux, supérieurs à Barsac qu’à Sauternes et des vins blancs secs de haut niveau ». Dans un carnet spécial disponible sur son site internet, il attribue des notes sur 20 et sur 100 à 636 vins, et nous donne déjà un bel aperçu de sa première appréciation des Bordeaux 2011.
Jean-Marc Quarin commence son rapport par « ce que l’on sait et ce que l’on découvre des vins rouges ». Selon lui, « Un grand vin est un vin qui excite la bouche partout. On doit l’ampleur et l’enchantement de cette excitation à des facteurs humains bien connus, mais surtout à des causes climatiques. Globalement le temps chaud et sec en juin – juillet conditionne la concentration des raisins rouges et détermine la taille du corps du vin. Un mois d’août chaud et peu pluvieux construira ce corps en milieu de bouche. En septembre et octobre, une climatologie douce et peu pluvieuse, ou même chaude, apporte aux cépages tanniques bordelais tels le cabernet sauvignon et le cabernet franc la maturité complète de leurs tanins. Elle se signale par une absence d’angle en fin de bouche, d’austérité voire de sécheresse tant préjudiciables à la qualité gustative. Sans caresse, fondu, gras et soyeux, il n’existe ni bons, ni grands vins ! ».
Il analyse ensuite le millésime « 2011 vis-à-vis de ce modèle ?
Un printemps exceptionnellement chaud et sec ( 4,5° au-dessus de la normale) induisait un départ précoce du cycle de la vigne, une floraison homogène et une sortie de grappes généreuse, augurant d’un beau volume de récolte à venir. Ce beau temps sec provoqua très tôt, un arrêt de croissance de la vigne qui consacra son énergie à concentrer et mûrir ses fruits. C’était très bien parti !
En juillet, face à la sécheresse persistante, la situation change d’un vignoble à l’autre, d’une rive à l’autre. Les sols calcaires et argilo-calcaires, toujours bien alimentés en eau n’ont pas souffert de la sècheresse ; ceux de graves bien plus. A ce stade, la rive droite, Saint-Emilion, Fronsac, Pomerol marquait des points tandis que les zones plus graveleuses du Médoc et des Graves souffraient. Au sein même du Médoc, l’appellation Médoc, plus riche en sol calcaire a moins souffert que les vins de l’AOC Haut-Médoc aux sols plus graveleux. Idem pour les vins liquoreux entre Barsac (calcaire) et Sauternes (graves). Jamais comme en 2011, je n’ai vu autant de différences dans des vins si jeunes. Ne parlons pas des jeunes vignes sur graves ou sur sable qui se défolièrent très vite et n’arrivèrent jamais à mûrir leurs raisins. Et si on évoque aujourd’hui 2011 comme un millésime réussi sur les grands terroirs, il faut entendre vieilles vignes et sol de graves sur argile ou argilo-calcaire pour ne pas souffrir du manque d’eau.
Heureusement, juillet ne fut pas aussi chaud que de coutume. Une chance pour les vignes en manque d’eau. Dans le cas contraire, elles auraient perdu toute capacité physique de mûrir leurs fruits correctement. On trouve des lots de vins marqués par ce type de problème. Ils sont secs en bouche. A charge pour les propriétés de les éliminer de l’assemblage.
La pluie vint dans une proportion légèrement supérieure à la normale. Elle favorisa la véraison. En tombant de façon très variée d’un lieu à l’autre, elle accentua l’hétérogénéité du millésime. Il plut plus au sud de Bordeaux, dans les Graves et le Sauternais qu’au nord ( médoc) ou à l’est ( Libournais).
Août si important pour la construction du milieu de bouche fut raisonnablement chaud, mais plus arrosé que la moyenne ( 80 millimètres contre 60 ). A ce moment-là, je savais que les 2011 ne pourraient être ni riches, ni pleins en milieu de bouche, mais plutôt d’un style élancé, plus droits que larges. La question était alors de savoir si septembre apporterait de quoi grandir les fins de bouche.
Le 1er septembre, un violent orage déversa 80 millimètres d’eau. Sur Saint-Estèphe et une partie de Saint-Emilion, il se transforma en grêle et ravagea bon nombre de parcelles à Cos d’Estournel, Montrose, Cos Labory ou encore Le Crock.
A quelques jours des vendanges, cette eau a beaucoup inquiété. Par crainte de la pourriture, beaucoup débutèrent les vendanges de rouge dès le 5 septembre. Le temps se remit au beau le 10. Ces conditions donnaient du baume au cœur aux viticulteurs souhaitant attendre. Elles encourageaient aussi ceux qui ramassaient à le faire sans stress, sous le soleil et avant les marées d’équinoxe si perturbantes pour les conditions météorologistes en gironde. La pluie du 19 septembre convainquit ceux qui avaient commencé tôt les vendanges du bien-fondé de leurs intuitions. Or, il se mit à faire très beau juste après, tandis que l’apparition de nuits froides bloquait le développement des foyers de pourriture grise. De nombreux témoignages recueillis dans les chroniques n° 119 et 120 signalent une nette amélioration des qualités du raisin, l’apparition du goût et une hausse du degré d’alcool. Pour tous les vendangeurs, le maître mot était : trier. Eliminer les traces d’échaudage de fin juin, celles d’une véraison incomplète, les foyers de pourriture grise. Jamais Bordeaux n’avait connu une telle effervescence autour du tri et de ses nouvelles techniques ( des vidéos seront disponibles sur mon site dans quelques heures).
Ainsi, septembre 2011 ne fut pas un mois idéal, celui qui allait achever ce qu’août n’avait pas fait comme lors des étés indiens de 2002, 2004, 2007 et 2008. Selon l’état des vignes, selon les ambitions de chacun, ses observations, ses croyances, les dates de vendanges ont été très diverses. A tel point que certains avaient fini les vendanges de liquoreux à Barsac, quand d’autres n’avaient pas donné le moindre coup de sécateur sur le merlot de Saint-Emilion. Une situation inédite et inconnue jusqu’alors. Et même si le développement du cycle végétatif ne cadrait pas avec le modèle idéal pour obtenir du grand vin il était toujours bien difficile de se lancer dans un pronostic. Que sortirait-il de ce millésime dont les raisins avaient commencé leur vie dans un cycle précoce pour être vendangés comme lors d’un cycle tardif. »
Il passe ensuite en revue « les points positifs versus les points négatifs.
Le point positif le plus répandu et qui intéressera les amateurs concerne l’absence de caractère végétal. Les nez présentent des notes de fruits mûrs et parfois noirs ce qui ne manque pas de surprendre. En bouche, les corps sont tendres et sans dureté de fond. Cette perception est accentuée par la prudence ressentie dans l’extraction. Les vinificateurs ont avancé à pas de velours. Je dois dire que Bordeaux est très à l’aise dans cet exercice au point parfois de sous-extraire les grandes années. Tous ces vins, élaborés avec précaution et à la saveur plutôt mûre seront délicieux à boire jeunes.
Le point faible du millésime 2011 en rouge concerne une acidité parfois trop saillante sur les crus moyens, en particulier dans le Médoc et un manque général de puissance en milieu de bouche ou en finale.
Je retrouve dans cette absence le déficit de chaleur en août et l’irrégularité climatique de septembre. Dans l’ensemble les degrés d’alcool sont normaux sauf pour les crus vendangés tard. La chaptalisation a fait son retour dans les chais. Bons nombres de 2011 ont des profils de bouche plutôt longiformes que volumineux. Les degrés d’alcool plus près de 13 jouent un rôle dans cette perception. Un autre fait l’accentue : la part plus importante de cabernet franc mis dans les assemblages. Il type réellement les vins de la rive droite et leur donne cette année tout leur caractère. Et chacun sait que ce cabernet franc ne se révèle qu’au vieillissement, tout au contraire du merlot toujours plus gratifiant immédiatement.
Dans le Médoc et les Graves, le millésime est marqué par la réussite du cabernet sauvignon plus que celle du merlot. A l’instart du cabernet franc, le cabernet sauvignon induit lui aussi un port droit dans la bouche. »
Et il termine en identifiant « trois catégories de bons vins :
1- De nombreux vins sont agréables, non végétaux, mais modestes et avec peu de caractère. A tel point que mon descriptif est quasi le même pour tous. Ils seront à boire avant dix ans.
2 – Il existe une autre catégorie de vins meilleurs qui apparaît dans la notation vers 15,5. Ceux-là offrent l’avantage d’être bien construits et de nous régaler à l’attaque, au milieu et en finale. Je les ai trouvés principalement sur la rive droite. Sur ces sols argilo-calcaires, la vigne a moins souffert de la sécheresse que sur les sols du Médoc ou des graves. Les meilleures affaires seront de ce côté.
Certains vins s’approchent des 2010, mais avec la saveur en moins. En effet, il existe des 2011 qui possèdent de beaux indices de tannin, souvent supérieurs à 2009 (merci la sècheresse). Par contre, leurs goûts sont moins profonds que les 2010, même si leurs corps se ressemblent. Toute la question sera de savoir comment seront élevés ces vins. Personnellement je suis convaincu que les Bordelais ne sont jamais aussi doués que dans l’adversité avec le climat. C’est leur culture. Par contre ils se relâchent trop avec des millésimes tels 2009 et 2010 où tout semble tellement facile. N’est-ce pas eux qui ont inventé l’expression « millésime ou terroir chaise longue » ?
3 – Enfin, il existe des vins de grande qualité en 2011. Ils sont profilés droits en bouche, commencent finement charnus, restent denses au milieu, même s’ils ne sont pas larges et surtout s’achèvent savoureux sur un joli grain de tannin et une bonne longueur. Leurs succès sont des particularités. Une conjonction de facteurs parmi lesquels reviennent souvent :
– la faiblesse des rendements (30 hl/ha à château Margaux et à Pichon Baron),
– la part de cabernet franc ou de cabernet sauvignon plus élevée que d’habitude, ( Clos Manou, Pichon Comtesse, Kirwan, Grand Corbin d’Espagne),
– l’existence de vieilles vignes,
-un terroir remarquable qui sait aussi bien tamponner les excès de l’eau que ceux de la sècheresse,
– l’utilisation de nouveaux instruments de vinifications, comme à Lagrange ou Cheval Blanc,
– les efforts de sélection comme à La Réserve de la Comtesse qui signe son meilleur second vin dans une année compliquée,
– ou tout simplement la rançon d’une ascension qualitative entamée depuis quelques années (Seguin, Montlandry, Angludet, Chauvin). »
Il se dit « Chaque fois, je suis émerveillé de découvrir ces changements si fortement liés à l’implication des hommes. » et annonce que « les Outsiders remarqués dans mon guide sortent souvent la tête haute de ce millésime, Clos Manou en tête ! »
Dans ce contexte, Jean-Marc Quarin dit avoir « privilégié dans mes notes les crus qui possèdent déjà le plus de douceur (sans la confondre avec de la faiblesse) tout en ayant de la trame et de la longueur en bouche. Ces vins deviendront très charmeurs. De surcroit, ils occupent actuellement la pôle position pour gagner en expression pendant l’élevage sans prendre le risque de devenir durs. Ce sera la dernière étape pour attraper un peu plus de volume ».
Pour découvrir l’intégralité de ses notes, rendez-vous sur le site www.quarin.com !