Sheila Kohler
Éditions La Table ronde
272 pages
Résumé:
Dans le calme et la pénombre, au chevet de son père qui vient de se faire opérer des yeux, Charlotte Brontë écrit, se remémore sa vie, la transfigure. Elle devient Jane Eyre dans la rage et la fièvre, et prend toutes les revanches : sur ce père, pasteur rigide, désormais à sa merci, sur les souffrances de son enfance marquée par la mort de sa mère et de deux sœurs aînées, sur sa passion malheureuse pour un professeur de français à Bruxelles, sur son désespoir face à son frère rongé par l'alcool et la drogue, sur le refus des éditeurs qui retournent systématiquement aux trois sœurs Brontë leurs premiers romans, envoyés sous pseudonyme.
Mon commentaire:
Quand j'étais Jane Eyre est un roman délicat qui m'a particulièrement plu. J'ai aimé le travail de l'auteur autour de la famille Brontë. Sheila Kohler s'inspire ici d'une petite ligne lue dans une biographie de Charlotte Brontë: "Ce qui s'est passé, tandis qu'elle était assise au chevet de son père à Boundary Street, reste dans l'ombre". L'auteur a donc imaginé, à partir d'éléments réels, ce qui s'est déroulé à ce moment-là.
Le roman débute alors que le père Brontë vient de se faire opérer des yeux. Il est alité, à Manchester, et sa fille Charlotte l'accompagne. Emily, Anne et Branwell sont restés à la maison. À son chevet, Charlotte l'observe et écrit. C'est là qu'elle créera les bases de ce qui deviendra son célèbre roman Jane Eyre. Roman d'introspection, portrait intimiste de toute une famille, on ressent tout de suite l'atmosphère un peu particulière qui avait cours chez les Brontë ou dans n'importe quelle famille de l'époque dirigée par un père pasteur, régie par la religion et par des principes rigides.
Le roman est divisé en trois parties. La première se déroule en 1846 à Manchester, pendant que Charlotte veille son père. La seconde va de 1846 à 1848 et se déroule à Haworth. Charlotte et son père y sont de retour et les filles Brontë tentent de percer le monde littéraire, tout en prenant soin de la maison et de leur frère Branwell qui cause du souci à tout le monde. Par moment, la complicité enfantine qui unissait les quatre jeunes Brontë s'étiole pour laisser place à l'amertume et à l'incompréhension. La troisième partie parle de l'époque londonienne, de 1848 à 1853, alors que Charlotte devient de plus en plus connue. Un court épilogue complète le roman. J'y ai appris que Charlotte Brontë s'était mariée. J'en ai été étonnée, je ne le savais pas du tout.
Le récit relate par touches délicates, les pensées de Charlotte et des autres personnages. Les chapitres alternent entre les différentes voix et les différentes pensées qui animent les Brontë et ceux qu'ils côtoient. On voit comment tout a commencé pour Charlotte et de quelle façon elle en est venue à l'écriture. Dans un contexte économique difficile, alors que les enfants Brontë ne sont pas très doués pour le travail, Charlotte se questionne souvent à savoir si l'écriture pourrait devenir sa planche de salut, si elle pourrait les sauver de la misère. Alors qu'elle reçoit sa première lettre de refus suite à l'envoi de son manuscrit, Charlotte est plus déterminée que jamais a faire mieux et à réussir. C'est au processus de création et d'écriture que nous assistons. Entrer dans son univers est un beau privilège que nous offre Sheila Kohler avec son roman.
Une écriture pleine de finesse, qui nous parle de la création et des tourments intérieurs de ses personnages. Une auteure que je découvre avec grand plaisir. Il y a aussi que le sujet avait tout pour me plaire!
Un roman à réserver à ceux qui s'intéressent aux Brontë et ont envie d'aborder les détails de leur existence par la fiction. Une réussite.
Un extrait:
"Charlotte répond d'un signe de tête à son bonjour. La présence de l'infirmière la dérange mais elle s'efforce de l'ignorer. Elle préfère écouter la respiration de son père, être seule avec lui. Un homme distant, croyant, préoccupé par ses devoirs de chrétien, sa grande et pauvre paroisse, sa douleur et son fils unique, un père qu'elle n'a jamais eu pour elle toute seule." p.15