Metz, de droite à gauche

Publié le 05 avril 2012 par Délis

Dans les urnes, la Moselle connaît un lent glissement à gauche depuis quelques années. La majorité départementale UMP s’affaiblit de cantonales en cantonales, les villes du département tombent une à une dans l’escarcelle du parti socialiste, et d’aucun promettent le basculement en juin de 4 à 5 circonscriptions sur 9 à gauche – ce qui n’était arrivé qu’à deux reprises, lors des vagues roses de 1981 et 1997 (avec respectivement 5 députés sur 8 puis 6 députés sur 9 PS ou divers gauche).

A l’avant-garde de cette petite révolution électorale : Metz.  Cette ville, qui jamais n’avait été gouvernée par un maire de gauche, a porté Dominique Gros (PS) à l’Hôtel de Ville en 2008.  Cet infatigable opposant municipal (il est élu au conseil municipal dès 1983) mettait fin à 160 ans de règne de la droite, et aux 37 ans de mandat de Jean-Marie Rausch (UDF puis UMP).

Dans quelle mesure ce basculement est-il durable ? Dit autrement : l’électorat messin et de sa grande agglomération (220 000 habitants) s’est-il ancré à gauche ?

METZ : VILLE DE DROITE AUJOURD’HUI…

Aujourd’hui, non. La victoire dans les urnes en 2008 est en quelque sorte une illusion électorale. La poussée de la gauche, puissante et incontestable, reste insuffisante : Le total des voix de droite est toujours, à Metz comme ailleurs dans l’agglomération, nettement supérieure au total des voix de gauche.

La liste de Dominique Gros remporte en mars 2008 48,3% des suffrages au deuxième tour, contre 24,3% et 27,4% pour les deux listes de droite. Il suffit de faire l’addition. La droite municipale, illisible, ravagée par les conflits personnels, désaxée par le jeu infiniment complexe des renversements d’alliances, des transfuges, des défroques, a abandonné l’Hôtel de Ville à la gauche.

Les cantonales de 2008 et 2011 ont confirmé ce constat. Dans les deux cantons que détient le PS (Metz 1 et Metz 4), le total des voix de gauche au premier tour plafonne toujours à 36 et 40% au premier tour. Si l’on précise que le nombre d’inscrits dans les cantons de Metz-1 et Metz-4 est inférieur de 30% aux inscrits de Metz-2 et Metz-3, on mesure la difficulté qu’il y aurait à classer Metz « à gauche ». La ville reste une terre de conquête pour ses nouveaux maîtres.

… VILLE DE GAUCHE DEMAIN ?

La situation pourrait cependant considérablement changer d’ici à 2014. Si Metz n’est pas de gauche, elle en prend le chemin.

A en croire un récent sondage de BVA, la « nouvelle » municipalité est franchement populaire.  Pour 48% des messins, la situation à Metz « s’est plutôt améliorée » depuis les élections de 2008 , et 61% se déclarent « plutôt satisfaits » du travail accompli par la municipalité. Le maire lui-même bénéficie d’excellents scores d’images, 70% de ses électeurs déclarant en avoir une « plutôt bonne opinion » et 72% se considérant « plutôt satisfait ».  Force est de constater, en dépit des inévitables polémiques liées à ce type d’étude, que Dominique Gros et les socialistes ont réussi leur arrivée au pouvoir municipal. L’alternance politique aura déclenché le changement des mentalités, à défaut de l’inverse.

Second élément, la recomposition sociologique de la ville. La réforme de la carte militaire décidée par Nicolas Sarkozy impose à Metz et son agglomération, première garnison de France après Paris, le départ de 5000 soldats ; soit 14 000 personnes avec leurs familles. Il n’est pas tout-à-fait excessif de parler de « saignée », même pour une ville qui serait plus peuplée.

Le départ des troupes laisse planer un grand point d’interrogation sur l’avenir sociologique et électoral de la région. A très court terme, cela signifie en effet le départ de milliers d’électeurs actifs. A plus long terme, les conséquences économiques et sociales seront, quoiqu’incertaines, très lourdes pour l’ensemble du département : chaque régiment de 1000 hommes générait 30 millions d’euros de retombées  annuels en moyenne sur son environnement immédiat. Cette recomposition de l’électorat rebat les cartes, et peut parfaitement remettre en question la domination historique de la droite.

DEUX CIRCONSCRIPTIONS EN VOIE DE BASCULEMENT ?

L’histoire pourrait se répéter aux législatives des 10 et 17 juin prochain. La droite détient aujourd’hui les trois circonscriptions de l’agglomération (la première, la deuxième, et la troisième circonscription de Moselle). Mais deux sur trois pourrait bien pencher cette fois-ci du côté du PS.

Éliminons d’emblée la troisième circonscription, où le doute n’est pas permis. Marie-Jo Zimmermann (UMP), véritable chef de l’opposition municipale, y a été réélue dès le premier tour en 2007, avec 50,9 % des voix. Figure connue et populaire, elle n’aura aucun mal à l’emporter à nouveau. Quitte à passer par un deuxième tour ; l’intégration à la circonscription du canton de Metz-I, suite au redécoupage de 2009, minorera de toute évidence la domination de la droite. Parce que le FN y est puissant, à 23% des voix au 1er tour des cantonales 2011, et parce que le PS y est bien implanté – le conseiller général en est le maire en personne.

Du côté de la première circonscription, la bascule en faveur du PS est par contre tout-à-fait envisageable. Le redécoupage de 2009 semblait pourtant y avantager la droite.  La circonscription y perd en effet le canton de Metz-1, acquis à la gauche depuis 1988 (Dominique Gros en est le conseiller général), et gagne au contraire une partie du canton de Metz-3, acquis au centre droit.

Le candidat investi par la droite ne manque par ailleurs ni de titres ni d’appuis.  Le député François Grosdidier, devenu sénateur en 2011, ne se représentant pas, c’est son jeune protégé Julien Freyburger (34 ans) qui briguera le siège, dans la foulée d’une campagne municipale plutôt remarquée ; en 2008, à l’élection municipale de Maizières-Lès-Metz, le délégué UMP s’en sortait avec les honneurs face à l’expérimenté Gérard Terrier,  en rassemblant près de 45% des voix.

Le maintien de la circonscription à droite est pourtant loin d’être acquis. Le PS a en effet investi une candidate éminemment médiatique, membre de l’équipe de campagne de François Hollande, Aurélie Filippetti. Sans terre en raison de la suppression de la 8e circonscription de la Moselle dont elle est députée, la candidate socialiste comble largement ses handicaps sur Julien Freyburger, solidement implanté dans la circonscription. La première circonscription, plutôt instable politiquement, pourrait donc bien revenir en 2012 à la gauche. Les résultats de l’élection présidentielle apporteront une première réponse : une victoire de François Hollande le 6 mai compliquerait très sérieusement le maintien de la circonscription à droite.

La deuxième circonscription s’inscrit, elle, dans le droit fil de l’histoire politique récente de l’agglomération : droite divisée et FN en pleine expansion.  Avec probablement le même résultat qu’à Metz : défaite de la droite et basculement historique du siège à gauche.

Denis Jacquat, qui en est le député sans interruption depuis 1986, est candidat à sa succession.  Homme fort de l’UMP dans le département, aux côtés de François Grosdidier et Marie-Jo Zimmermann, il a comme les autres longtemps vécu dans l’ombre de Jean-Marie Rausch, avant de le combattre. Le « bon docteur Jacquat » a, à ce titre, participé activement à toutes les frondes contre le Cronos de l’Hôtel de Ville, ne se ménageant pas les inimitiés en dépit de son caractère réputé affable. Il risque aujourd’hui d’en payer le prix, avec la candidature de Nathalie Colin-Oesterlé (Nouveau Centre), soutenue par une partie de la droite locale.

A sa gauche, Denis Jacquat aura pour adversaire Jean-Michel Toulouze, professeur d’économie, secrétaire de la section socialiste de Metz-4, et surtout tombeur de la droite dans le canton de Metz-4 en 2008. A sa droite, il affrontera Thierry Gourlot, patron du FN Mosellan.

Quel est l’état des forces en présence ? Préservée du redécoupage électoral, cette circonscription a l’avantage d’être assez lisible dans son avenir politique. Comme en témoigne le tableau ci-dessous, compilant les résultats du premier tour à chaque élection locale1, l’UMP peut y tabler sur un  électorat majoritairement à droite (à l’exception des régionales, un peu à part en raison du scrutin de liste).

Pour autant, deux dynamiques risquent de poser problème : la poussée de la gauche, constante quoiqu’insuffisante; et surtout l’expansion du Front National, clairement dans ses hautes eaux et en capacité de parvenir au second tour. Là encore, l’élection de François Hollande pourrait bien être l’élément déclencheur d’une victoire de Jean-Michel Toulouze.

DES HABITUDES DE VOTE AUX TEMPÉRAMENTS ELECTORAUX

Le Parti socialiste a accumulé, ces dernières années, une somme impressionnante de victoires tactiques dans l’agglomération messine. A chaque fois ou presque, la droite déchirée a aimablement tenu la porte ouverte aux candidats de gauche. Partant de constat, certains ne voient dans le basculement à gauche qu’une péripétie, une alternance conjoncturelle qui ne témoignerait en aucune façon des fondamentaux de la région.

Qu’ils se méfient : la succession de victoire tactiques pourrait bien produire un nouveau paysage stratégique. Le caractère politique d’une région n’est rien d’autre que la somme des habitudes de vote, et les habitudes se perdent comme s’acquièrent.

  1. (sources : Centre de données socio-politiques de Sciences-Po, data.gouv.fr [Revenir]