Légère incompréhension ces dernières semaines. Vogue, Glamour, Grazia et même GQ parlent tous du même groupe, un trio parisien qui n'était jusque là connu que d'une poignée de connaisseurs. Tous encensent le premier album de Tristesse Contemporaine. Pourquoi ? Le nom ? De bons contacts ? En cherchant un peu, on apprend que leur musique a servi au défilé Chanel de la dernière fashion week parisienne - on comprend mieux pour les magazines féminins.
Mais le nom joue forcément un rôle dans le succès du groupe. Difficile de faire plus arty et cabalistique. "Tristesse Contemporaine", un patronyme qui colle parfaitement à l'époque mais qui est pourtant emprunté à Hippolyte Fierens Gevaert, un illustre inconnu qui publia dans les années 1800 une étude intitulée Tristesse Contemporaine : essai sur les grands courants moraux et intellectuels du XIXe siècle. C'est sûr que ça impressionne. D'autant plus que le groupe, jusqu'à peu, s'entourait d'une aura de mystère et communiquait rarement sur lui, se contentant d'afficher une esthétique sobre et sombre, donnant des concerts aussi austères que rares. On en viendrait à se demander s'il y a vraiment une justification musicale à l'engouement suscité par Tristesse Contemporaine, derrière son image savamment étudiée et très classieuse.
C'est là que l'on remarque que les protagonistes sont loin d'en être à leur première expérience musicale. Tristesse Contemporaine, ce sont trois immigrés qui décident de s'installer dans un Paris qu'ils continuent de fantasmer. Narumi est Japonaise et a déjà travaillé avec Telepopmusik, Léo le Suédois a été guitariste pour Jay Jay Johanson, et Maik n'est autre que le rappeur Mau, du groupe de trip hop anglais Earthling. Ce dernier a la vilaine manie de se cacher derrière un masque d'âne, ce qui est assez freaky quoique vu maintes fois. Déjà auteurs en 2010 d'un maxi froid et hypnotisant, 51 Ways To Leave Your Lover, les trois exilés ont sorti mi-mars leur éponyme premier album chez le petit label parisien Dirty. "51 Ways To Leave Your Lover"
Tristesse Contemporaine (le disque) s'apparente au manifeste du groupe qui, fort de ses différentes cultures et influences, y distille en huit morceaux une electro-pop glaciale, ou un trip hop nouvelle génération qui se mélangerait à de la new wave et du krautrock. Le minimalisme est de mise, comme l'annonce d'emblée l'inaugural "Empty Hearts", avec sa basse calquée sur Joy Division. L'ambiance est archi-sombre, les paroles aussi, il y a même une référence à Sartre ("Hell Is Other People"). Mais il y a pourtant des morceaux dansants, comme le (très bon) single "I Didn't Know", ou encore "51 Ways To Leave Your Lover" (qui a été remasterisé en moins bien qu'avant), voire le plus mélancolique "Daytime Nighttime".
"Daytime Nighttime"
Mais le problème de cet album claustrophobe, c'est qu'il finit par nous étouffer. Comme dans le morceau "Hierarchies", qui dure trop longtemps et où les beats et les voix susurrées rentrent dans la tête de l'auditeur provoquant chez lui la fascination machinale autant que l'agacement de la répétition. La respiration qu'offre enfin le dernier titre, "America", ballade plus aérienne mise en valeur par des voix féminine et masculine à l'unison, ne suffit pas à atténuer la noirceur du disque. Ce n'est pas très sain d'écouter Tristesse Contemporaine en boucle et en boucle, d'ailleurs, cela finit par lasser. La Tristesse est belle, mais seulement si on ne la laisse s'installer que quelques instants.
Tristesse Contemporaine sera en concert en mai à Tours, Nantes, Lyon, Strasbourg, et le mercredi 30 mai en première partie de Girls à la Villette Sonique.