Avec le putsch du 22 mars et la rébellion touarègue qui a gagné tout le nord du pays, la pagaille la plus totale règne aujourd’hui au Mali
“On n’avait vraiment pas besoin de ça.” Le rappeur français d’origine malienne Mokobé ne cache ni son amertume, ni son inquiétude. En quelques jours, le Mali, terre de ses ancêtres, considéré comme un modèle de stabilité et de démocratie en Afrique de l’Ouest, souvent cité en exemple pour son art du vivre ensemble – le fameux “sanakuya” –, a basculé.
Tout est allé très vite. Le 22 mars, un groupe de militaires putschistes renverse le président en exercice Amadou Toumani Touré (ATT), décrète le couvre-feu (levé depuis) et annule la Constitution. Ce coup militaire se produit alors que l’armée malienne proteste du manque de moyens pour lutter contre la rébellion touarègue au nord du pays. Depuis, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), qui rassemble l’ensemble des forces touarègues, a conquis les villes de Kidal, de Gao et de Tombouctou, amputant le pays d’environ la moitié de son territoire. Comme si on avait arraché une aile de ce pays qui sur la carte ressemble à un papillon.
Ces revers ont conduit la junte dirigée par le capitaine Amadou Haya Sanogo à battre en retraite sur le terrain des combats. Avant de reculer sur celui du politique en annonçant qu’il rétablissait la Constitution. Pour Kader Traoré, porteparole du Conseil national de la jeunesse malienne et franco-malienne (CNJM-F), “le sentiment général, c’est que la junte ne maîtrise pas la situation, que personne n’est actuellement en charge du pays”.
“Quel gâchis, enrage Mokobé. Tout ça pour ça. Voilà cinquante ans que le problème du Nord existe. Il existait avant ma naissance. C’est comme si ma génération avait hérité de quelque chose qu’on n’avait pas réglé.”
L’élection présidentielle qui devait avoir lieu prochainement est annulée. Et comme beaucoup, Mokobé craint le retour d’un régime de dictature comme le pays en a connu sous Moussa Traoré entre 1968 et 1991. Accusé de laxisme envers les salafistes d’Aqmi (Al-Qaeda au Maghreb islamique), de corruption et d’implication dans le trafic de drogue, le régime ATT est en grande partie responsable de cette situation. Mais Kader Traoré voit aussi dans l’absence de réaction du gouvernement français, si prompt à intervenir en Côte d’Ivoire, un facteur d’aggravation et une manière de vengeance. “Sarkozy n’a jamais digéré qu’ATT ait refusé de signer le traité de rapatriement des ressortissants africains comme l’ont fait le Burkina Faso et le Sénégal. Ni qu’il ait soutenu Kadhafi et préféré signer avec des compagnies australiennes et américaines pour exploiter les gisements de pétrole et de gaz découverts dans le nord.”
Eyadou Ag Leche, bassiste du groupe touareg Tinariwen en tournée actuellement en Europe, vit évidemment ces événements d’une toute autre manière. “Je suis triste pour ce qui se passe à Bamako. Mais je suis heureux que notre peuple soit enfin sur le chemin de la liberté, de l’indépendance. Voilà cinquante ans que nous attendions cela. Le gouvernement malien nous a complètement abandonnés. Il n’a tenu aucun de ses engagements. Il a fallu trois rébellions pour arriver à ce résultat. Nous ne reviendrons jamais en arrière. Aujourd’hui, dans les rues de Kidal, de Gao et de Tombouctou, c’est la fête. J’espère qu’une délégation des Nations unies va venir au plus vite constater que, contrairement à ce qui est dit, nous n’avons pas de lien avec Aqmi. Nous voulons seulement vivre en paix dans un Etat indépendant, la République démocratique de l’Azawad, où tous les Touaregs pourront se rassembler.”
Les Etats voisins, comme le Niger lui aussi en conflit avec sa population touarègue, laisseront-ils faire au risque d’une contagion ? “J’espère qu’on va s’asseoir autour d’une table pour trouver une solution et rétablir la paix”, prie Mokobé. Mais aujourd’hui, au pays de Salif Keita, de Toumani Diabaté, d’Oumou Sangaré, la voix des musiciens est-elle encore écoutée ?