Un détachement Uhlan
S’avançait en pays normand.
W. Schnaffs fut envoyé en reconnaissance.
Rien n’indiquait une possible résistance.
Les Prussiens descendaient dans un vallon
Que coupaient des ravins profonds
Quand une fusillade les arrêta,
Jetant bas
Une vingtaine des leurs.
Une troupe de francs-tireurs,
Sortant d’un petit bois brusquement
S’élança en avant
La baïonnette au fusil.
Walter demeura d’abord surpris.
Puis face à cette artillerie,
Un désir fou de détaler le saisit.
Voyant un fossé derrière un tas de foin,
Il y sauta à pieds joints.
Pour se cacher,
Il se couvrit de feuilles séchées
Et se mit à réfléchir.
Qu’allait-il faire ? Qu’allait-il devenir ?
Il ne pouvait rester dans ce fossé
Jusqu’à la fin des hostilités.
S’il n’avait pas fallu manger,
Cette perspective ne l’aurait pas dérangé.
Il se mit soudain à penser :
Si seulement j’étais prisonnier !
Prisonnier des Français
Je serais nourri, logé, si j’étais prisonnier !
Je vais me constituer prisonnier.
Où allait-il se constituer prisonnier ?
Comment ? De quel côté ?
Il aller courir de terribles dangers
En s’aventurant
Seul, en uniforme allemand.
S’il croisait des paysans ?
Il serait abattu
Comme un chien errant.
S’il rencontrait des francs-tireurs,
Ceux-ci le fusilleraient
Pour s’amuser, pour passer une heure,
Histoire de rire, de se marrer.
S’il rencontrait un bataillon,
On lui tirerait dessus.
Il s’affaisserait
Et on le retrouverait
Troué de balles comme une écumoire.
La situation lui paraissait sans issue.
La nuit était venue,
La nuit muette et noire.
Walter ne bougeait plus,
Tressaillant à tous les bruits inconnus.
Il s’imaginait entendre marcher près de lui.
Puis, épuisé, il s’endormit.
Il se réveilla vers midi, le ventre creux.
Il guetta le passage d’un paysan
Sans outil de travail dangereux.
Il lui dirait qu’il se rend.
Walter sortit de son fossé.
Personne n’apparaissait.
Là-bas, à gauche, il apercevait
Des guirlandes de corbeaux
Survolant le toit d’un grand château.
Il s’en approchait et observait
Qu’une fenêtre n’était pas fermée.
Un délicat fumet s’en échappait.
Cette odeur lui pénétra dans le nez.
Alors, sans réfléchir, il apparut, casqué
Dans le cadre de cette fenêtre.
Six domestiques dinaient.
Soudain une bonne laissa tomber son verre.
Tous les regards suivirent le sien !
On aperçut l’ennemi. Les Prussiens !
Ils attaquaient le château ! leur maison !
On prit la fuite vers la porte du fond.
En deux secondes, la pièce fut abandonnée.
La table était couverte de mets raffinés.
Walter enjamba le mur d’appui,
S’avança vers la table.
Sa faim le faisait trembler
Mais il fut pris
D’une terreur abominable
Qui le paralysait.
Il écouta. Des portes se fermaient,
Des pas rapides couraient.
Des gens s’enfuyaient.
Toute agitation cessa bientôt.
Il devint silencieux, le château !
Walter tendit encore l’oreille
Puis se mit à manger.
Par grandes bouchées il mangeait
Il vida aussi toutes les bouteilles.
Peu à peu ses yeux se fermaient.
Ses idées s’engourdissaient.
Puis il perdit la notion des choses et des faits.
Des ombres glissaient dans les fourrés.
Parfois un rayon de lune faisait
Reluire dans l’ombre une pointe d’acier.
Soudain une voix tonnante hurla :
-En avant ! à l’assaut, soldats !
Vingt hommes armés bondirent dans la cuisine
Walter vit vingt fusils se poser sur sa poitrine.
Il fut roulé, culbuté,
Saisi, garrotté.
Un gros militaire chamarré d’or
Lui planta son pied sur le ventre et vociféra :
-Vous êtes mon prisonnier, sale porc !
Le Prussien gémit : -Ya, ya, ya.
Et souriait,
Souriait,
Sûr d’être enfin prisonnier !
Un autre officier
Entra et dit :
-Mon colonel, les ennemis se sont enfuis ;
Plusieurs semblent avoir été blessés.
La situation est maintenant normalisée.
Le gros militaire vociféra :
-Victoire ! Et il écrivit sur son agenda :
« Après une lutte acharnée, insensée,
Les Prussiens ont dû battre en retraite
Sans tambour ni trompette,
Emportant leurs morts et leurs blessés
On évalue cent uhlans hors de combat.
Nous en avons arrêté des tas. »
Le jeune officier reprit :
-Mon colonel, quelles dispositions dois-je prendre ?
-Nous allons organiser le repli
Pour éviter de nous faire surprendre
S’ils revenaient avec des forces supérieures.
Et il donna à ses sbires
L’ordre de partir.
Dans le quart d’heure,
Entourant bien le prisonnier,
Maintenu par huit guerriers,
La colonne se mit en mouvement.
On avançait prudemment
On attint enfin la sous-préfecture.
La population surexcitée attendait.
De formidables clameurs éclatèrent,
Les enfants exultèrent.
Un aïeul lança sa béquille au Prussien
Et blessa le nez d’un de ses gardiens.
Les vieilles pleuraient.
Le colonel criait :
-Veillez à sa sûreté !
La prison fut ouverte. Walter y fut jeté.
Malgré des symptômes d’indigestion
Qui le tourmentait depuis quelque temps
Walter, débordant de jubilation,
Se mit à danser éperdument.
Il était prisonnier ! Sauvé !
C’est ainsi que le château de Jarvet
Fut repris à l’ennemi.
On décora le colonel de Saint-Rémy.
Emile AIVOILE
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Beaucoup reviennent de la guerre qui ne peuvent décrire la bataille.
Proverbe italien
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