Obi Blanche, artiste européen tantôt punk, tantôt expérimental, a sorti en fin d’année 72 Hours. Cet EP, peu médiatisé, consacre pourtant le travail d’un producteur atypique qui pourrait bien faire aimer la techno aux dégoûtés du genre. Chronique !
Parler d’artiste pour désigner Obi Blanche est juste. Au-délà du djing et production électronique, le finlandais a roulé sa bosse dans plusieurs styles, depuis le rock indé jusqu’à la techno en passant par de l’expérimental.
Son parcours est une nébuleuse : d’abord producteur et guitariste pour plusieurs bandes, le finlandais signe son premier EP (rock indé) sur le label New Judas. Très vite, il remixe de nombreuses pistes (pour Les Gillettes, Boy 8 Bit, Housemeister, Zombie Nation…) et reçoit le soutien de la scène électro (Erol Alkan, Maelstrom, NT89…). Voyageant régulièrement en Europe, Obi s’installe à Berlin. Il sortira ensuite deux EP et une collaboration avec Downtown, moitié de Renaissance Man.
De son parcours, il garde toujours sa guitare et d’autres instruments qu’on retrouve au détour de ses productions. Mais Obi laisse de côté son expérience de riffeur pour cet EP carrément tourné techno.
Oui, je lis lcassetta. Et je sais qu’on n’aime pas trop la techno ici. Moi non plus. Et Obi Blanche… non plus. Le dj résume ainsi son style : Je fais de la techno pour des gens qui n’aiment pas la techno. Traduction : Obi n’aime pas les pistes vides. Il respecte la musicalité dans ses pistes, comme tous ces producteurs qui savent jouer d’un instrument. Tout en plaisant aux mordus de techno. Le résultat, c’est 72 Hours. Sorti sur Bang Gang Records, un label australien familier des sonorités electronica. (Light Year, Bag Raiders…)
Alors pourquoi 72 hours ? Les plus affûtés verront un parallèle avec Roger Seventytwo (aussi membre de TWR72). Obi s’inspire de ses codes pour créer ces pistes : une techno épurée mais travaillée, sans détour mais dotée d’une âme.
72 Hours commence tout doux, guidée par des beats brouillons, des sonorités 8-bit crado, puis ça monte, le son est encore plus saccadé, une alarme, ça grésille… puis la piste continue toute seule : un aller-retour de nouvelles gammes 8-bit, de montées et chutes incontrôlables. Sans jamais bousiller les oreilles. A quoi bon ? Les 5 minutes du morceau foutent déjà la cervelle en l’air.
Succède One With Empty, le vrai point culminant de l’album. Rompant avec l’intimité toute relative de la piste précédente, One With Empty monte le volume et met en valeur la voix trafiquée d’Obi Blanche. Le fond sonore glitché est typique des églises du XXXIème siècle, quand les envahisseurs obligent l’humanité à se réfugier ; comme Obi nous pousse à vite s’enfermer dans un club pour n’en sortir qu’une fois la menace passée. Tapie dans l’ombre, elle grossit, armée d’une platine qui intensifie ses scratchs, se rapproche… Les chœurs peuvent essayer de calmer la bête, l’explosion est inévitable. Puis elle se libère et se déchaîne : de gros râles, un pas assourdissant, de la platine comme jamais, et un deuxième cataclysme. Puis plus rien.
NT89 nous récupère après ce massacre. Lui par contre, il fait bien de la techno pour les gens qui aiment la techno. Il exploite les beats de 72 Hours, rajoute ses drumkits et effets personnels. Du coup, la piste se transforme en une averse de grêle techno. L’italien s’excite : vas-y que je te rajoute un écho, que je t’augmente le volume, que je te métallise les sons… Un son que Style of Eye qualifie de piste du prochain millénaire. Avis aux adeptes, cette piste leur est destinée.
Rien qui prépare au remix suivant, signé Yves Rockers Crew. Un parfait inconnu qui signe le meilleur remix de l’EP. Bienvenue dans un jeu vidéo où vous commencez par le boss final, vous avez une minute pour reprendre vos esprits. Prêt ? L’adversaire attaque à coup d’acid house. Une pause ? Qu’importe, la piste se gave de cowbell et de drums et reprend plus rythmée que jamais. On ne saura jamais l’issue du combat. YRC a gagné le sien : donner une nouvelle personnalité à One With Empty, plus calme mais plus perverse, plus subtile.
Pour le même morceau, Berain insiste sur les cimes les plus noisy, garde les parties les plus crades, et reproduit au ralenti l’attaque du monstre et sa fureur. Obi Blanche, dont la voix devient claire, entame un chant funèbre, apparition presque divine… mais vaine. Nous sommes condamnés à ne pas en réchapper.
Alors, qu’est-ce que 72 Hours? On ne peut pas s’y tromper, cet EP, c’est de la techno : crade, tunée comme une mauvaise TSF, insistante et bien grasse. Mais Obi Blanche ne reproduit pas les schémas qui manquent de saveur depuis la fin d’Underground Resistance. Il construit sa techno sur des bases musicales. L’écoute est agréable, les pistes apportent un intérêt, prouesse dans un genre où l’insipide est devenu normal. En ajoutant sa voix, organisant ses pistes, essayant des montées puis des superpositions, des gammes de notes, , le tout avec cette ambiance 16/8-bit, le travail d’Obi Blanche gagne en musicalité et en intérêt. Du coup, l’EP est loin de se limiter à un outil de club puisqu’il offre une headphone experience (expérience d’écoute solo, casque sur tête) formidable.
En fait, le vrai tour de force d’Obi, c’est d’avoir réussi à rendre subtile de la techno grasse, presque crade. Un cocktail qui pourrait bien plaire aux plus récalcitrants du genre. A commencer par moi.
Aurélien Blériot, étudiant en communication tombé dans la marmite internet à 10 ans, futur rédacteur web, futur parisien, j’ai découvert la musique électro dans une pochette surprise il y a un an. Féru d’actualité, de journalisme et de belles lettres, la politique et l’économie générale me passionnent. Autrement, je joue aux cartes, fais du vélo, vais de temps en temps au cinéma… et dans des bars cool.