Didier l’Embrouille, Pine d’Huitre ou encore Gérard Langue de pute… Tous ces personnages délirants interprétés par Antoine de Caunes, ont fait le succès de la célèbre émission de Canal +, « Nulle part ailleurs », dans les années 90.
Ces sketches élaborés par Antoine de Caunes, Laurent Chalumeau et Albert Algoud constituaient des œuvres en collaboration au sens de l’article L113-2 du CPI.
Toutefois, lors de l’édition, par la société Studio Canal, d’un DVD reproduisant un certain nombre de ces sketches, le nom d’Albert Algoud n’a pas été mentionné parmi les auteurs.
Celui-ci a donc intenté une action en reconnaissance de son droit moral de paternité.
Mais quelles preuves le coauteur doit-il rapporter pour démontrer cette qualité d’auteur, et bénéficier, en tant que tel, d’un droit moral de paternité ?
La première chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 23 février 2012, confirmant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 1er octobre 2010, vient d’apporter la réponse à ces questions.
L’obligation de rapporter la preuve sa qualité d’auteur
L’article L113-1 du CPI prévoit une présomption de la qualité d’auteur pour la personne sous le nom de laquelle l’œuvre a été divulguée.
Toutefois, lors de la première diffusion télévisée des sketches aucune information n’avait été communiquée au public quant à l’identité des auteurs.
Aussi, Albert Algoud ne pouvait pas bénéficier de la présomption posée par l’article L113-1 du CPI. Il devait rapporter la preuve de sa qualité d’auteur.
Cette preuve se fait par tout moyen mais doit être sérieuse, circonstanciée et précise (CA Paris, 4ème chambre, 29 avril 2000)
Or, s’agissant d’une œuvre en collaboration, la personne qui se prévaut de la qualité de co-auteur doit non seulement démontrer qu’elle a participé à la création de l’œuvre mais encore que cette participation a permis à l’œuvre d’acquérir son caractère original, seul caractère protégé par le droit d’auteur.
Ainsi, il est de jurisprudence constante que « la qualité d’auteur ne pourrait résulter que d’un apport personnel dérivant d’une activité créatrice ». (Pour exemple : Cass. civ. 1ère, 13 avril 1992)
Mais en quoi cet apport personnel doit-il consister ?
Un des principes essentiels en droit de la propriété intellectuelle est l’impossibilité de protéger une idée. En effet, « Les idées sont de libres parcours ».
Aussi, la société Studio Canal a prétendu que comme Monsieur Algoud n’apportait pas la preuve d’un travail d’écriture relatif aux sketches, il n’apportait en réalité que des idées, idées ne pouvant lui conférer la qualité de coauteur.
Néanmoins, les juges ont repoussé cet argument.
En effet, Monsieur Algoud participait aussi bien « à la base de départ des travaux de rédaction et à l’élaboration de la structure générale des sketches » qu’à leur relecture et à leur mise en forme définitive, et ce, même si le travail de rédaction revenait à Antoine de Caunes.
De ces constatations, ainsi que des éléments révélant une reconnaissance tacite par la société Studio Canal de la qualité de coauteur d’Albert Algoud, désigné en tant que tel à la SACEM ou encore dans le DVD des sketches précédents, les juges ont déduit l’existence d’une «apport personnel dérivant d’une activité créatrice ».
Ainsi, l’apport personnel ne doit pas nécessairement être matérialisé à travers une contribution personnelle individualisable.
En revanche, cette contribution doit se manifester au stade de la mise en forme de l’œuvre et pas seulement à celui de sa conception, auquel cas, elle serait réduite à une simple idée, ne conférant aucune titularité sur l’œuvre en collaboration.
La reconnaissance du droit moral de paternité
Qu’est-ce qu’un droit de paternité ? Quelles prérogatives ouvre-t-il ?
Aux termes de l’article L121-1 alinéa premier du CPI, l’auteur d’une œuvre dispose d’un droit moral de paternité lui permettant d’exiger que son nom soit apposé son œuvre.
Ce droit, comme tout droit moral, n’est pas limité dans le temps et ne peut être exploité à titre onéreux ou vendu.
Néanmoins, les juges ayant constaté que ce droit n’avait pas été respecté par la société Studio Canal ils ont accordé à Monsieur Algoud des dommages intérêts s’élevant à 15 000 euros.
Ainsi, bien que non pécuniaire par nature, le droit moral de paternité peut néanmoins être rémunérateur !