Aux Bains de Mer,
Dans un moment de colère
Un monégasque a tué sa femme.
La Cour suprême
A jugé à l’unanimité
Et déclaré
Que ce citoyen de la Principauté
Devait être condamné à mort.
Le Prince ratifia l’arrêt.
Il ne restait plus alors
Qu’à exécuter le tueur.
Par malheur,
Il n’y avait à Monaco
Ni guillotine ni bourreau.
Sur l’avis de son Ministère
Des affaires étrangères,
Le souverain entama des négociations
Avec le gouvernement français
Pour obtenir la location
À moindre frais
D’un coupeur de têtes avec son engin.
Paris répondit enfin
Et envoya sa note de frais
Pour le transport de l’appareil à trancher
Et le déplacement d’un praticien suppléant
Total : seize mille francs.
Sa Majesté songea que ce contrat
Était bien trop onéreux.
L’assassin ne valait pas ça.
Seize mille francs pour le cou d’un polisson,
Ah ! mais non !
Alors il questionna le roi d’Italie.
Un frère ne devrait pas se montrer aussi
Exigeant qu’une République.
L’Italie envoya un mémoire se montant
À douze mille francs.
…Faudrait donc puiser dans les caisses du fisc !
On envisagea de faire décapiter l’assassin
Par un simple biffin.
Mais le général consulté
S’y opposa :
-Mes hommes ne sont pas habilités
À manier la faux ou la hache
Pour s’acquitter d’une telle tâche.
De nouveau, le Prince convoqua
La Cour et lui soumit ce cas embarrassant.
On délibéra longtemps.
Le Président proposa de commuer
Sans lapsus linguae
La peine de mort en prison à perpétuité.
Mais on ne possédait pas de prison.
Il fallut construire une maison de détention
Et nommer un geôlier
Capable de garder le prisonnier.
Pendant six mois tout alla bien vraiment.
Le captif dormait dans son lieu d’internement
Sur une sorte de litière
Et le veilleur en faisait autant
Devant la porte
Sur une chaise de fer
En regardant
Passer les cloportes !
Mais les débours relatifs à l’entretien
De la prison, du prisonnier et du gardien
Grevaient lourdement
Le budget des Finances.
Grimaldi fit la grimace !
Songeant que cela pouvait durer longtemps,
Il fit supprimer la charge de geôlier.
Invité à se garder seul, le prisonnier
Ne manquerait pas de s’échapper.
Et chacun serait contenté.
L’assassin put donc rentrer chez lui.
Le tueur n’essaya point de s’évader.
Un cuisinier du Palais fut chargé de lui porter
Riz, nouilles, biscuits…
Un jour, comme on avait négligé
De lui fournir ses aliments,
On le vit arriver tranquillement
Pour les réclamer.
Puis afin d’éviter la course au cuisinier,
Il vint déjeuner et diner
Avec les gens de service du Palais.
Après les repas, il allait à Monte-Carlo
Faire un tour au casino.
Quand il avait gagné,
Il s’offrait un bon diner
Dans un hôtel de renom
Puis il rentrait à sa maison
Dont il fermait la porte soigneusement.
Il ne découcha jamais.
À ce moment,
Il fut décidé qu’on l’inviterait
À sortir de la Principauté.
Lorsqu’on lui signifia cet arrêt,
Il répondit simplement :
-Je vous trouve plaisants.
Eh ! qu’est-ce que je deviendrai ;
Je n’ai pas de famille, pas d’argent…
J’étais condamné,
Vous ne m’avez pas exécuté.
Je n’ai rien dit.
Je fus ensuite prisonnier à perpétuité,
Vous m’avez supprimé mon gardien.
Je n’ai encore rien dit.
Aujourd’hui, vous me chassez du pays.
Ah ! mais non. Je suis prisonnier,
Votre prisonnier.
Vous m’avez jugé et condamné,
J’accomplis ma peine. Je reste ici.
La Cour fut atterrée.
Le Prince eut une colère terrible
Et ordonna de prendre les mesures possibles.
On se remit à délibérer.
Alors, il fut décidé qu’on offrirait
Au coupable six-cent francs-or
Pour vivre à l’étranger jusqu’à sa mort.
Il accepta.
Du coup, il a loué un vaste enclos
À cinq minutes de Monaco.
Il vit heureux sur sa terre,
Cultivant des pommes de terre
Et méprisant les potentats.
Sylvain JIDY-NONPAR
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La plus étroite des prisons est la société de celui qui vous est contraire.
(Djâmi)
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