Comme à chaque élection, la question de l’abstention se pose. Ces détracteurs pointent du doigt ces citoyens ingrats, qui ne prennent pas la peine de se déplacer aux urnes et laissent les autres décider pour eux. Pire, en se déplaçant pour voter blanc, ils cèdent aux charmes de cette redoutable neutralité, ils désertent. Le citoyen moderne ferait presque harakiri à la démocratie, institution gagnée dans le sang de la révolution. Aujourd’hui je vous propose donc une petite réflexion à ce sujet. L’abstention est elle un outil à part entière du système démocratique ?
Faisons tout d’abord parler les statistiques, si chères à nos politiciens. Depuis l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 74, les pourcentages d’abstention n’ont fait que grimper. De 12% à l’époque, ils ont atteint un pic de 20,3% lors des premiers tours des élections présidentielles de 1995 et de 2002. C’est deux dernières ont vu Chirac sortir vainqueur des élections. Mais 2002 a aussi été l’année où Jean Marie Le Pen est devenu le premier candidat d’extrême droite présent au second tour. Les médias et les politiques ont alors véhiculé l’idée que si une telle situation était devenue possible, c’était à cause des mauvais citoyens qui n’avaient pas fait leur devoir et avaient permis aux extrémistes de gagner du terrain.
Je ne célèbrerais nullement cette accession au second tour de Jean Marie Le Pen, bien au contraire. Toutefois, la question se pose : les citoyens, lassés des beaux discours de nos politiques, qui nous promettent monts et merveilles pour recueillir nos voix, n’ont-ils pas recours à l’abstention pour montrer leur mécontentement ou leur désintérêt pour la vie politique française actuelle ?
Après avoir fait le choix, durant de nombreuses années, de voter contre quelqu’un, plutôt que pour un candidat, les électeurs ne prendraient ils pas ainsi une alternative ? L’abstention, ou le vote blanc, serait alors une manifestation de la frustration ressentie par des citoyens tristement lucides face aux promesses non tenues de nos politiciens. Alors que la droite, comme la gauche, ont pu décevoir, trahir leurs partisans, l’abstention elle, jamais ! Elle représente ceux qu’on n’écoute plus, la majorité silencieuse qui a perdu confiance.
Dans une république démocratique, les élections devraient être l’occasion d’exprimer son mécontentement et de refuser ce qui est proposé pour l’avenir de notre pays. Or en France, le vote blanc n’est pas décompté. En effet, petit exemple imagé : si dans un bureau de vote il y a 100 électeurs. 10 votent blancs. Un candidat recueille 46 voix sur 100. Ca ne fait pas 50% des voix mais pourtant, comme on ne compte pas les votes blancs, il obtient plus de 50% des voix et il est élu à la majorité absolue. Dans cette situation, qu’est ce qui oblige l’élu à rendre des comptes alors qu’il ne représente pas la véritable majorité absolue des français ?
Pourtant, en Europe il n’existe qu’un pays où les votes blancs sont pris en compte ! C’est la Suède. En France l’article L66 du code électoral précise que les bulletins blancs n’entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement. Ce qui signifie qu’ils sont assimilés à des bulletins dits « nuls » (raturés, déchirés etc…). Mais l’idée de comptabiliser les votes blancs a cependant fait des émules ! En 2010, le député UMP Jacques Rémiller proposait d’annuler le scrutin si plus de 30% des bulletins étaient des votes blancs. Cette proposition prend certainement encore la poussière sur un bureau quelque part en France.
N’irions nous pas vers plus de démocratie en exprimant tous, pleinement, notre opinion ? Le vote blanc devrait être accepté comme étant un vote de refus, un outil démocratique. Il serait valable et comptabilisé. Ce qui signifie l’instauration d’un quorum des votes, c’est-à-dire une condition de majorité suffisante pour valider les élections dès le premier tour. Ceci permettrait de laisser la parole à tous, afin que personne ne se sente lésé par le système démocratique, et afin que le vote garde ses convictions républicaines et qu’on ne choisisse plus un candidat par dépit.
Pour aller plus loin, dès le XIXème siècle Alexis de Tocqueville prenait position face au système démocratique. Il pensait qu’en donnant la puissance de décision à la majorité, il pouvait dériver une forme de tyrannie opprimant une minorité. De ce fait, la démocratie pourrait, selon lui, indirectement remplacer une monarchie par un absolutisme feutré. Dans le sens où les citoyens se consoleront d’être en tutelle, car ils auront eux-mêmes choisis leurs tuteurs. Alors on retrouve peut être dans ces votes perpétrés par dépit ce paradoxe humain : la propension des individus à s’abandonner à ceux qui leur permettent de vivre dans la sécurité et le bien être matériels. Quitte à y sacrifier une partie de leur liberté. C’est ici l’idée de servitude volontaire, théorisée par La Boétie dès le XVIème siècle.
Et sans parler de tyrans ou justement de tuteurs, nous savons tous que la Vème République est un régime qui se veut parlementaire mais qui fait en réalité la part belle au président de la république. A ce sujet pour Cioran, poète et philosophe roumain, c’est pire ! Pour lui, le vice essentiel de la démocratie c’est permettre l’ascension au pouvoir d’un seul, au détriment de tous.
Il y a donc encore certainement du chemin avant que nous puissions jouir de nos pleines libertés. On va encore me qualifier d’utopiste, mais tant pis, il n’y a pas meilleure digression. Cioran le disait : sous peine de se pétrifier il faut au monde un délire neuf car sans utopie la vie devient irrespirable !