La Petite Fille de Monsieur Linh, de Philippe Claudel

Par Geybuss

Roman - Editions Livre de Poche - 184 pages - 5.50 €

Parution en poche en 2007 (sinon, 2005 chez Stock)

L'histoire : Monsieur Linh est un vieille homme qui débarque en France après un long périple en bateau. Il n'a qu'une simple valise et il sert très fort, dans ses  bras, sa petite fille, seule survivante du bombardement qui a décimé son village à l'autre bout du monde. Il est alors recueilli dans un dortoir pour réfugiers... Il ne parle pas un mot de Français quand il s'aventure, avec sa petite fille, dans les rues où rien ne ressemble ni ne sent comme dans son village. Il s'assoit sur un banc. Un grand et gros homme vient s'assoir prêt de lui. Avec deux mots qu'ils ne comprennent même pas de la même façon, les deux hommes font, au fil du temps, tisser une amitié très forte. Une amitié où les mots sont superflus.

Tentation : La blogo et la réputation du livre

Fournisseur : Ma PAL !

  Billet spécial dédicace for... Viviane !

Mon humble avis : Dans la série bluff total, j'avais cité récemment Tuer le père de Nothomb, le Scriptorium d'Auster, La double vie d'Anna Song de Minh Tran Hui. Et bien ajoutons sans hésitation "La petite fille de Monsieur Linh" à cette liste méritante. Bien sûr, tout au long du livre, on trouve nombre d'anormalités, on se doute bien que quelque chose nous échappe mais jamais ô grand jamais, on imagine cette vérité. Une vérité, une fin qui ne laisse pas de marbre, qui bouleverse, qui peut paraître abrupte et peu développée, mais qui laisse surtout je pense au lecteur la possibilité d'y trouver sa propre interprétation. Et de se poser les bonnes questions. En effet, on s'accorde à dire que la littérature n'est pas là pour donner des réponses mais pour conduire à s'interroger sur d'autres chemins. En tout cas, cette fin m'a estomaquée et je ne saurais dire s'il elle m'a "convenue" ou non. Mais elle m'a bien chamboulée.

Mais avant la fin, il y a le roman entier... Prenant, mélancolique, juste, très juste et qui ne se perd pas dans des détails. Même le pays d'origine de Mr Linh et sa ville d'accueil ne sont pas nommés, donnant ainsi une universalité à cette histoire. Moi j'y ai mis les noms Vietnam et Marseille, vous choisirez les vôtres.

On s'attache terriblement à ce vieillard qu'est Monsieur Linh, qui, pour que survive sa petit fille, a entrepris la grande traversée, pour lui assurer un avenir meilleur, sur une terre moins hostile... où tout lui est hostile à lui. Car il ne reconnaît rien, pas une odeur, pas un paysage, pas un mot. Et là, on peut entrer dans la peau de ses hommes et femmes qui, fuyant leurs pays pour X raisons, se retrouvent dans un univers et une culture qui leur sont étrangers, pour lesquels ils n"ont même pas été préparés. Un pays où ils dépendent des quelques mots qu'on veut bien leur traduire et qui sont insuffisants pour leur permettre de comprendre ce qui se passe autour d'eux, ce qu'ils deviennent eux mêmes.

Mais heureusement, dans cette âpreté environnante, il y a l'amitié que crée Monsieur Linh avec Monsieur Bark, le gros homme. Ils se rencontrent sur un banc de parc. L'un parle, l'autre écoute sans comprendre. Une amitié faite de présence, de regards, d'attentions, d'intonations dans la voix. Une amitié qui brise toute les barrières et qui reporte au second plan l'importance de la compréhension linguistique. L'amitié est donc au delà de ça. Et cela m'a fait penser à mon père qui, il y a 25 ans, avait des conversations à bâtons rompus avec un ami espagnol. Aucun ne parlait la langue de l'autre, mais à force de geste et quelques similitudes phonétiques entre deux langues latines, ils parvenaient à refaire le monde. Monsieur Bark et Monsieur Linh ne refont pas le monde, mais à eux seuls ils comblent celui de l'autre. Et tout cela est dit, écrit, décrit magistralement, avec une justesse remarquable. Une très belle histoire, mais bien plus que cela, étant donné la fin qui vous attend !