Notre obsession de l’information immédiate connaît de temps à autre d’impardonnables failles. Et, qui plus est, nous avons souvent la mémoire courte et un respect très relatif pour nos grands anciens. C’est en tout cas ce qu’il convient de dire pour justifier que l’annonce de la disparition de Knut Hammarskjöld ait mis plusieurs semaines à venir jusqu’à nous. L’ancien directeur général de l’IATA allait avoir 90 ans.
La seule mention de son nom fait jaillir d’innombrables souvenirs liés à une période exceptionnelle de l’histoire du transport aérien. Mr. «H» fut en effet le patron de l’IATA de 1966 à 1984, c’est-à-dire pendant une petite vingtaine d’années de profonds bouleversements qui façonnèrent l’aviation commerciale d’aujourd’hui. Il eut, de ce fait, à gérer des moments délicats, des crises, de grands défis techniques. Il le fit avec l’aisance et l’élégance d’un vrai diplomate préparé aux tâches les plus ingrates, capable de dialoguer avec tact avec des interlocuteurs parfois hostiles, à commencer par la haute administration américaine. Avec les médias, il témoigna en toutes circonstances d’une patience infinie, tout en éprouvant de sérieuses difficultés à admettre que déréglementation et libéralisation allaient changer la face du monde aérien.
Et telle est bien la raison pour laquelle Mr. K. a marqué toute une époque de son empreinte. Citoyen suédois né à Genève, neveu de Dag Hammarskjöld, secrétaire général des Nations unies mort dans des circonstances tout à la fois dramatiques et mystérieuses en 1961, il était visiblement doué pour les missions difficiles. Ainsi, attaché au ministère des Affaires étrangères, il avait été envoyé à Moscou pour tenter de retrouver et d’obtenir la libération du diplomate Raoul Wallenberg, disparu dans les geôles soviétiques, cela avant de rejoindre la direction de l’Aviation civile suédoise puis la Zone européenne de libre échange. En 1966, il avait été choisi par l’IATA pour succéder au premier directeur général de l’association professionnelle, William Hildred.
Cette année là, les compagnies aériennes internationales, en plein essor, affichaient des bénéfices correspondant à 9 à 10% de leur chiffre d’affaires, dans le cadre de ce qu’il était convenu d’appeler une croissance à deux chiffres. Une situation qui, bientôt, s’effrita dangereusement et ne fut pas rétablie par la suite.
Néanmoins, une période exceptionnelle s’annonçait : généralisation des jets, apparition de Concorde et du Boeing 747, premier choc pétrolier de 1973, entrée en vigueur fin 1978 de l‘Airline Deregulation Act et affrontement réglementaire violent des membres de l’IATA avec l’administration américaine. D’autres difficultés ont pris corps à cette époque, à commencer par le défi nouveau de la sûreté, illustré symboliquement par les détournements d’avions vers Cuba. Dans le même temps, il était indispensable de déployer des efforts considérables pour améliorer la sécurité des vols.
L’IATA de Knut Hammarskjöld était celle d’un transport aérien très réglementé, fonctionnant sur base d’accords de droit aérien bilatéraux et de conférences tarifaires rigides, mais qui permit au secteur de se développer dans le bon ordre. Son rôle fut considérable et on est en droit de regretter qu’il ait disparu dans l’indifférence.
Pierre Sparaco - AeroMorning