Vœux pieux

Publié le 03 avril 2012 par Toulouseweb
Air France révèle une liste de bonnes intentions.
Le choix des mots est empreint d’une grande prudence, les précautions oratoires sont omniprésentes et, de toute évidence, il s’agit de ne froisser personne. Mais Air France vient de reconnaître haut et clair qu’elle va vraiment très mal et que l’heure des grandes décisions a sonné : il va falloir retrousser les manches, faire des sacrifices, changer d’époque.
Sept groupes de travail faisant intervenir plusieurs centaines de personnes ont consacré trois mois à préparer un «point d’étape» du plan Transform 2015. Il annonce une transformation «en profondeur» de la compagnie, cela, explique son PDG, Alexandre de Juniac, «afin d’en restaurer la compétitivité, de reconquérir les clients et nous remettre sur une trajectoire de croissance». Certes, le langage est convenu et n’a rien d’inattendu. A une nuance près, à savoir que l’objectif visé est une réduction des coûts d’un minimum de 20%. C’est beaucoup ? «Faire moins compromettrait le redressement et l’avenir de la compagnie», ce qui revient à dire qu’Air France est arrivée devant l’entrée du service des urgences. En clair, elle va vraiment très mal.
Prise entre deux feux, concurrents low cost très agressifs d’un côté, compagnies de «6e liberté» aux ambitions planétaires, d’autre part, Air France ne peut plus attendre et, encerclée, profondément inquiète, elle n’hésite plus à mettre ses faiblesses sur la place publique. Une litanie étonnante : coûts beaucoup trop élevés, orientation client insuffisante, niveaux hiérarchiques trop nombreux, réseau long-courrier qui tourne au ralenti, relations avec les filiales régionales «sous-optimale», compétitivité insuffisante des activités fret, etc. Le comité central d’entreprise a été mis au parfum et Transform 2015 commencera à devenir réalité dans quelques mois.
Visiblement, il s’agit de faire vite : retour à l’équilibre du point à point dès l’année prochaine, du réseau court/moyen-courrier en 2014, de l’ensemble de l’entreprise, ensuite. Seules de «premières orientations» sont énoncées pour l’instant et des mesures précises, comme on le supposait, ne seront pas décidées et mises en application avant quelques mois. Pour l’instant, il s’agit plutôt de vœux pieux, certes incontournables, logiques, mais qui ne disent pas clairement qu’Air France se trouve dans l’obligation absolue d’entreprendre une véritable révolution culturelle.
Quoi que prétendent ses dirigeants, elle n’a toujours pas fini d’aborder de plain-pied le monde cruel de la concurrence débridée, peuplé d’adversaires sans foi ni loi. Pas question, bien sûr, d’y perdre son âme mais il faudra qu’Air France accepte, malheureusement, d’abandonner une fois pour toutes sa bonne éducation, ses belles manières, pour rentrer dans l’arène, le couteau entre les dents. Ce grand tournant psychologique va inévitablement lui demander des efforts à la limite de l’insurmontable : depuis 1933, Air France était la respectabilité même, en rien préparée à lutter contre des hordes de barbares issus de l’impardonnable Airline Deregulation Act américain de 1978.
Quelques-unes de ses consoeurs les plus respectables, celles du canal historique, y ont laissé la vie, par exemple Pan American World Airlines et Trans World Airlines. Mais aussi Eastern, Western et d’autres, alors que les plus respectés des experts étaient intimement convaincus que les grandes compagnies, a fortiori «nationales», n’étaient pas mortelles. Le moment est venu de faire table rase du passé, d’oublier une fois pour toute la protection d’une autorité de tutelle à tout jamais disparue, décapitée par la Commission européenne.
L’inquiétude est à son comble à l’examen des pistes évoquées dans le cadre de Transform 2015. Il est question de sabrer dans les dépenses, de développer la vraie-fausse filiale low cost Transavia, de multiplier les «bases» de province et d’en instaurer le principe à Orly. Ou encore de mieux répondre aux attentes de la clientèle loisirs.
Ce sont là des points de passage obligés, en espérant qu’ils soient plus que des vœux pieux. Mais aucune des mesures envisagées ne permettra le retour à l’équilibre, à la croissance, à la reconquête, sans l’instauration d’un nouvel état d’esprit, d’un comportement qui suppose, qu’on le veuille ou non, d’oublier le passé. Air France a évidemment besoin des managers de grand talent mais il lui faudra aussi faire appel à quelques bons psys.
Pierre Sparaco - AeroMorning