La presse démarre sur le sujet entre les deux tours, et voilà « ma bonne idée » devancée par le Monde et Libération. Pourquoi pas, après tout? Le sarkozisme fait assez feu de tous bois pour nous épargner un tel raffinement éthique.
Il faut reprendre les choses du début: c'est Sarko qui, le premier, s'est tiré dans le pied en affirmant entre les deux tours des présidentielles « qu'il fallait liquider l'héritage de Mai 68 ». « Liquider ». Ce seul vocable donne une idée de l'état d'esprit d'ouverture et de tolérance, de réformisme positif et d'émancipation personnelle que son auteur promet aux citoyens.
Certes, ça flatte les conservateurs indécrottables, mais c'est une bourde grotesque sur tous les autres plans.
D'abord, parce que le « sarkozy-concept » n'existerait pas sans mai 68. Jamais sans ce bouleversement de la culture et des mentalités, un people sans classe, bling-bling, m'as-tu-vu- et multidivorcé ne serait arrivé à l'Elysée. Comme le dit fort justement Cohn Bendit, il est d'ailleurs un « jouisseur sans entrave » typique de la culture soixante-huitarde, même s'il n'a pas tout compris du phénomène, notamment en matière de libertés individuelles, de redistribution des richesses et d'aplanissement des frontières.
Alors, combien cela lui a-t-il rapporté » d'électeurs, de flatter les bande mou et les mal baisés, les nantis barricadés dans leur opulence, les manipulateurs du compte-goutte des libertés individuelles, les empêcheurs de la redistribution des richesses, les « bien nés et fiers de l'être » ??
Peut-être les 3% qui ont fait déborder le vase l'an dernier, mais succès bien éphémère si j'en juge par la déconfiture des Vanneste, Robien, Perben, Panaf, Cavada, Lagarde, Albertini, Fabienne Keller, et autres grands balayés du premier tour de ce dimanche. Plus la communication est « fabriquée », moins longtemps elle est efficace.
« On peut tromper une personne longtemps, plusieurs personnes un certain temps, mais pas tout le monde tout le temps ».
C'est un vieux tic » de la droite (on dirait un « toc » aujourd'hui) de s'intituler « majorité présidentielle » même lorsqu'elle ne l'est plus. Souvenons nous que les giscardiens se sont auto-désignés « la majorité » jusqu'à la dernière goutte de la lie de leur défaite de 1981.
La « majorité présidentielle » donc, qui n'a déjà plus de majorité que le nom, est d'ailleurs bien divisée sur l'exégèse de son échec.
« Il n'y a pas eu de vague rose » dit-elle. Mais la gauche ne l'a jamais promis!. Ce slogan est un pur fruit des services de com élyséens pour relativiser l'effet du recul, comme l'explique fort bien un article du Canard Enchaîné de mercredi avec photocopies des « feuilles de route » distribuées aux ministres devant apparaître à la télévision. (Tous sauf Borloo, le gaffeur de l'entre deux tours de la présidentielle avec la « TVA sociale »!).
Cela a commencé avec l'empressement des élus à ne pas vouloir dans leur ville les renforts proposés par Paris pour soutenir leur candidature, l'effacement effréné du logo UMP des affiches de province, et la soudaine multiplication des discours expliquant « l'intérêt local » du scrutin à rebrousse-poil de la « politisation de l'élection » prônée par Paris jusqu'en janvier.
« Le comportement personnel du président est la seule raison de la chute de la droite et il ne faut pas y voir de sanction politique » est le sens difficile à exprimer, certes, mais proposé en périphrase par les candidats menacés. Est-ce si sûr?
Fillon, dont la côte et les actions sont au beau fixe, et qui n'est donc pas suspect de « porter la poisse » a été soutenir onze candidats. Tous ont d'ores et déjà perdu ! , six au premier tour, cinq irrécupérables et Gaudin en prime sur le fil du rasoir... c'est encore le Canard Enchaîné qui se fait un malin plaisir de nous en fournir la liste.
S'il était besoin de démontrer que ce n'est pas seulement la personnalité du président, mais aussi la politique du gouvernement qui était censurée, en voilà donc la preuve établie.
D'ailleurs l'Elysée se garde bien de se réjouir trop bruyamment de la brillante réélection de Juppé. Il aurait préféré n'importe quelle victoire sauf celle-là... Conforté par son résultat et sa position, l'homme fort de Bordeaux pourrait bien devenir le recours, l'alternative d'une UMP persuadée de devoir sa scoumoune aux divagations personnelles et politiques de son leader actuel.
Fort de la capacité d'oubli du bon peuple, pour qui les grèves de 1995 sont déjà du moyen âge, et sa défaite aux législatives un petit incident de parcours couvert par son triomphe municipal, Juppé pourrait bien apparaître comme l'homme providentiel dont l'UMP a besoin pour se refaire une façade après les frasques du guignol de l'Elysée. Les déçus, les écartés de tous poils, les partisans d'une politique plus modérée et plus crédible ne manqueront pas pour lui apporter leur soutien. Même le Front National ne serait pas contre, qui espère récupérer à l'occasion ceux de ses électeurs envolés qui ne seraient pas morts de vieillesse entre temps.
Cette division latente de la droite serait du pain béni pour la gauche si elle n'avait pas le même problème: une douloureuse absence de chef charismatique, un fonctionnement de ses instances supérieures en mode « panier de crabes », une incertitude sur le cap à tenir et une gangrène carriériste galopante.
Le spectacle politique n'a pas fini de nous divertir.
Alors, à l'approche du 40° anniversaire de l'évènement, parlons maintenant de Mai 68. parlons des libertés individuelles, de la redistribution des richesses, de la liberté de la presse et des médias, du droit au plaisir et à la jouissance, de la vraie laïcité des institutions, du respect des minorités, de la libre circulation et du libre séjour, d'une justice équitable et rapide, du travail considéré comme un moyen et non plus comme une fin, des réformes positives, de la protection du service public, de l'économie au service des citoyens, j'oublie quelque chose?
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