Il arrive que des choses contraires au sens commun doivent nous faire réfléchir. J'ai eu une occasion de cette sorte il y a quelques temps, lorsqu'on m'a demandé de commenter l'histoire de cette femme de 66 ans qui venait de donner naissance à des jumeaux conçus par fertilisation in vitro.
Je vais vous mettre comme d'habitude un bout de texte et le lien vers l'interview. Mais avant, je voudrais vous raconter deux histoires. La première, c'est celle d'une femme qui semble (sur une photo que je ne vous indiquerai pas), avoir une trentaine d'années. Son image a fait le tour de la toile récemment. Belle. Iconique. Enceinte, et survivante d'un cancer du sein. Une image forte, commentée par des milliers de personnes. Un triomphe de la vie.
La deuxième histoire est celle de ma filleule (qui porte un nom que je ne vous donnerai pas). A 11 ans, elle est magnifique. C'est un des grands bonheurs de ma vie que de faire partie de la sienne. Ce ne fut pas sans heurts, car elle est née (très) avant terme et nous avons passé, tout autour d'elle, des années à ne pas trop oser espérer que tout aille véritablement bien. Et puis, oui. Magnifique, je vous dit. Sa mère a eu beaucoup de courage. Son père, encore plus: il avait presque 70 ans quand elle est née.
Alors voyez-vous, lorsque l'on m'a demandé de commenter l'histoire d'une personne qui m'était inconnue, dont j'ignorais, comme nous tous finalement, les réflexions, les doutes, et les capacités, je n'ai pas eu le cœur de répéter le sens commun. Il l'aurait sans doute condamnée, le sens commun: on n'a pas d'enfants à 66 ans, surtout si l'on a le mauvais goût d'être une femme et donc ménopausée, c'est une forme d'égoïsme, contraire à l'intérêt de l'enfant. Mais je me suis rappelée cette autre femme, fière après un cancer de sa grossesse, conçue sans savoir si sa rémission serait durable...Pourquoi celle-ci serait-elle un triomphe de la vie et pas celle-là? N'ont-elles pas vaincu l'une et l'autre des limites pour donner la vie? Et ne parle-t-on pas un peu vite d'égoïsme dès que le choix exprimé n'est pas celui que nous voulons? Cela laisserait même une certaine impression de paradoxe car lorsqu'on décide de ne pas en avoir, d'enfants, c'est quelque chose que l'on entend aussi. Alors que nous choix reproductifs sont parmi ceux que nous considérons comme les plus intimement nôtres, les plus dignes d'être défendus contre toute intrusion extérieure, nous avons ici une sacrée tendance à vouloir que d'autres fassent ce que nous considérons -personnellement- comme le bon choix. Et lorsque nous sommes plusieurs à le penser...cela donne le sens commun.
Mais une vie plus courte pour l'élever direz-vous peut-être...Oui. Mais pourquoi une espérance de vie plus limitée que la moyenne des jeunes parents serait-elle si déterminante? A ce prix, il y a cent ans aucune femme n'aurait eu le droit d'avoir un deuxième enfant, de peur de laisser le premier orphelin. Entourer ses enfants au cas où nous venions à disparaître. Voilà une chose que devraient sans doute faire tous les parents. Et que l'on imagine volontiers ces parents-là faire plus, ou plus souvent, que les autres. J'ai pris, je dois dire, envers ma filleule des engagements sans doute plus sérieux que dans une autre situation. Et s'il s'agissait, au fond, de cela? Étrange, donc, que de cela personne n'ait parlé. Comme si le crime était d'être à la fois parent et mortel...
Alors ensuite, il y a les vrais problèmes. Ici, le lien: "L’intervention d’une donneuse d’ovule représente en revanche un enjeu éthique important. Dès lors, en effet, la technique de procréation peut potentiellement reposer sur l’exploitation d’autrui. Dans de nombreux pays, les donneuses sont rémunérées et il arrive que cette somme dicte leur choix. «Le traitement hormonal est lourd (...) l’argent offert aux donneuses ne change généralement pas le cours de leur vie de façon décisive, l’information qu’elles reçoivent est incertaine, leur liberté de choix est limitée: tout cela n’est donc pas acceptable.»" Protéger les donneuses. Un enjeu important, et que le sens commun focalisé sur la mère et son âge risquerait presque de cacher. Mais alors: vaut-il mieux maintenir nos interdit, ou encadrer une pratique qui serait, cette fois, autorisée? Et si c'était le cas, que ferions-nous de situations comme celle-ci? Des questions qui ne vont pas s'en aller...