Le titre d'ouverture, "Moanin", fut un tube (qui finit par donner son titre à l'album sur un second pressage), mais il a pour moi un statut trés singulier. Avec le solo de Lee Morgan, c'était la première fois que j'entendais des sons aussi étincelants et excitants, c'était la première fois que j'entendais les possibilités d'une trompette jazz, en terme de hauteur de son et de phrasé. La première fois peut-être aussi que j'allais vers un musicien non parce qu'il était reconnu par un sens commun de la critique (je n'avais jamais entendu parlé de lui) mais à partir des sons qu'il produisait. Il est là le son des Jazz messengers, pas seulement dans le jeu de question-réponse entre le piano et les cuivres qui ouvre le morceau, mais aussi dans cette trompette stacatto, aux aigus si précis et piquants, ce phrasé souple, rythmé par de fines altérations, qui font le style soul et funky de Lee Morgan, reconnaissable entre tous.
"Are you real" joue des possibilités de décalage entre les deux cuivres, sur une mélodie pop simple et rayonnante, composée par le ténor sax Benny Golson. Après avoir dansé sur "Moanin", vous vous retrouvez à chanter à tue-tête une mélodie du bonheur. La face A s'achève sur un titre délicieusement évocateur, "Along came Betty", dont le thème, joué à l'unisson par les cuivres, a été inspiré par une jeune femme prénommée Betty, et plus particulièrement par sa démarche. Il s'agissait pour le groupe de capter "l'effet musical de sa grâce et de sa féminité". Le tempo et le jeu lié des cuivres suggère cette démarche, tandis que les chorus dressent un portrait plus détaillé de la jeune femme et de son pouvoir de séduction. Là encore la trompette de Morgan est épatante.
La face B s'ouvre sur l'affolant "The Drum thunder suite", où les maillets foudroyants de Blakey deviennent le centre organisateur d'une suite de trois thèmes qui nous propulsent à Hollywood, entre film noir, film de gangsters et suspens hitchcockien. C'est l'autre merveille de l'album. Mais il y a aussi le fameux "Blues March", où comment parvenir à faire swinguer une marche militaire, clin d'oeil aux fanfares de la Nouvelle Orléans.
Le dernier titre - seul standart de l'album : "Come rain or come shine"- prouve que les ardeurs hardbop sont compatibles avec un beau standart bien mélodieux.
En bref : Le disque de Hardbop parfait, mélodieux, dansant, gorgé de tubes et de sonorités éclatantes.
"Moanin", version album :
"Moanin", version live, Belgique, 1958 :