Il existe un genre de manga méconnu, qui dispose rarement des faveurs du grand public : le manga d’horreur. Quelques éditeurs en possèdent un ou deux titres dans leur catalogue : Hideout chez Ki-oon, Higanjima chez Soleil, etc. Néanmoins pour plonger plus profondément dans cette branche du seinen, il ne faut pas hésiter à sortir des sentiers battus pour s’essayer à des catalogues plus « underground » (si on peut les nommer ainsi), celui des petits éditeurs indépendants.
Depuis peu je m’intéresse aux œuvres des éditions IMHO, suite à ma découverte de Bambi d’Atsushi Kaneko. Parmi toutes les propositions de l’éditeur, j’ai eu un vrai coup de cœur pour leur toute dernière sortie : L’enfant insecte, de Hideshi Hino.
Ce one-shot calqué sur La Métamorphose de Kafka appartient au sus-nommé genre du manga d’horreur. Ce type de manga n’est pas forcément le mien, mais L’enfant insecte possède de nombreuses qualités et il s’éloigne sensiblement des clichés gores et violents pour que je vous le propose aujourd’hui. Voici de quoi il retourne…
Bonne lecture ;)
Métamorphôôôôse !
Pour le jeune Sanpei Hinomoto, la vie est loin d’être un conte de fée. Moche, maladroit, peu doué pour les études, il est seul et malaimé, aussi bien en classe que chez lui… Il n’arrive pas à la cheville de sa mignonne petite sœur ou de son intellectuel de frère. Son seul rayon de soleil ce sont les animaux, et plus particulièrement les insectes. Dès qu’il le peut, il file dans son sanctuaire secret, la décharge de la ville, et se retrouve en compagnie des chiens errants et autres animaux abandonnés. Il s’adonne alors avec passion à l’étude des vers, des mouches et autres coléoptères…
Mais la vie de Sanpei bascule le jour où il est mordu par une espèce rare de cafard et il commence alors à se transformer en un insecte à taille humaine. Aux yeux de sa famille, le looser s’est changé en un monstre hideux et honteux qu’il faut absolument garder enfermé à l’abri des regards. Sanpei, maintenant muté en vers énorme, reste cloitré dans sa chambre et s’ennuie ferme, mais il comprend bien qu’il ne peut en être autrement.
Cependant, après avoir subi une tentative ratée d’empoisonnement, il doit bien se rendre à l’évidence : le vers a finit sa mue et il doit fuir le cocon familial… Le voici en route pour une nouvelle aventure. Une nouvelle vie l’attend, mais sera-t-elle meilleure ou moins cruelle que la précédente ? Rien n’est moins sur…
Les histoires d’insectes finissent mal, en général
On regarde souvent les amateurs d’insectes d’un drôle d’œil… Comment font-ils pour étudier, aimer, adorer même ces êtres à la morphologie souvent disgracieuse, qui passent une bonne partie de leur vie sous la forme de larve gluante et visqueuse. Le dégout que procure ces créatures se propage bien souvent à ceux qui en font leur passe-temps. Pour peu qu’il ne brille dans un domaine à la mode et ne dispose pas d’un physique agréable, l’insectophile sera une tête de turc toute désignée.Dans l’enfant insecte, Sanpei est cet enfant, celui qui désespère les parents de bonnes familles par ses résultats médiocres, qui n’a aucun succès avec les filles à cause de son physique ingrat, qui ne se lie avec aucun camarade à cause de ces passions étranges pour les insectes, serpents, et autres animaux qui suscitent au choix, peur ou dégout.
Sanpei n’a donc pas grand-chose à attendre de la vie mais il s’en accommode. De toute façon, le monde des humains n’est pas vraiment fait pour lui. Il se sent plus à sa place parmi les animaux dont personne ne veut, à la décharge. Il estime même que sa solitude est un prix logique à payer pour sa médiocrité.
Sa nouvelle condition d’insecte ne va pas pour autant le tirer d’affaire. Alors que sa métamorphose le coupe définitivement du monde humain, son apparence n’en reste pas moins hideuse et menaçante pour toutes les espèces qui vont croiser sa route. Dans le règne animal, les larves géantes ne sont pas non plus les bienvenues. Une fois de plus, Sanpei est seul.
Mais contrairement à sa précédente vie où il a vécu des brimades quotidiennes, son nouveau corps n’est plus celui d’un garçon chétif mais celui d’un monstre venimeux… Et mortel. Après deux vies de solitude, que croyez-vous qu’il adviendra de notre héros lorsqu’il croisera à nouveau les humains et que ces derniers tenteront de faire de Sanpei leur trophée de chasse ?
La vengeance sera terrible…
L’horreur est humaine…
Si la vie de Sanpei est loin du bonheur, celle de son créateur Hideshi Hino n’a pas commencé non plus sous les meilleurs auspices. Il est né le 19 avril 1946 en Chine, de parents japonais. À cette époque la Seconde Guerre Mondiale vient de s’achever et il y a, en Chine, un vrai désir de vengeance anti-japonais. Avant de finir totalement lynché, Hideshi et ses parents n’ont plus le choix : il faut fuir la Mandchourie avec les autres japonais et retourner au Pays du Soleil Levant. Le futur mangaka est quasiment tué par ses compatriotes lors de son retour vers le Japon.
Une fois rentré au pays, il découvre un paysage dévasté et ruiné dans lequel il va grandir, auprès d’êtres difformes. Il cumule des une visions d’horreur qui vont le marquer ad vitam. Inspiré par les célèbres mangakas Shigeru Sugiura et Yoshiharu Tsuge il publie son premier titre en 1967 dans le magazine COM, le magazine d’Osamu Tezuka. Les évènements de son enfance et plus globalement sa vie, il va la mettre à de nombreuses reprises dans des mangas, comme Panorama of Hell. Il a revisité et rénové le manga d’horreur, dont il est aujourd’hui l’un des noms phares.
C’est en 1975 qu’ Hideshi Hino réalise L’enfant insecte et adapte ainsi la métamorphose de Kafka, une allégorie sur le traitement social des individus différents, qui traite également de la solitude et du désespoir des gens mis à l’écart. Hino en reprend les grandes lignes : il conserve le rôle primordial de la famille dans la première partie de son récit, mais il prend comme héros un jeune garçon déjà brimé et à l’écart, alors que c’est seulement après sa transformation que le protagoniste original voit l’attitude de son entourage se métamorphoser.
Le mangaka choisit également de ne pas s’attarder sur la vie familiale de Sanpei une fois sa transformation effectuée. Laissé pour mort, l’insecte géant a le droit a une seconde chance et une seconde vie sous la plume du mangaka, qui créé alors de toute pièce une nouvelle histoire et où il se montre, une fois de plus, sans répit pour son héros.
Après avoir subi l’acharnement des chinois et la maltraitance de ses propres compatriotes, Hino témoigne de son expérience personnelle et généralise le rejet de Sanpei, en l’enfermant dans une solitude cruelle… Avant de lui permettre de régler ses comptes, dans un bain de sang. Difficile de ne pas y voir le fantasme d’une vengeance personnelle, mais la conclusion de l’ouvrage démontre, heureusement, que cette solution ne comble aucun vide… Et qu’il n’y a d’ailleurs pas vraiment de solution pour le pauvre Sanpei…
Le monstre, c’est l’autre !
Néanmoins, après avoir été rejeté de tous à tort ou à raison, il y a bien quelqu’un qui finit par éprouver de la compassion pour l’enfant insecte. C’est le lecteur. Grâce à un trait simple, qui préfère les émotions au réalisme, le mangaka nous présente un Sanpei victime de ce qu’il est, médiocre et moche, mais avec un bon fond. Si la transformation en vers géant est sans nul doute le moment le plus éprouvant visuellement parlant, le résultat de la métamorphose n’a rien d’horrible.
L’ambiance est plutôt macabre, dont difficile de faire figurer notre héros au casting d’un nouvel opus de Monstre & Cie, mais le vers géant n’est en rien une vision d’horreur… Il a même une bonne bouille. Car Sanpei reste Sanpei, qu’il soit l’humain instectophile ou l’insecte humanophile. Les gens n’ont jamais voulu savoir qui était Sanpei lorsqu’il était humain et ils ont maintenant toutes les bonnes excuses pour rejeter sa différence. Un rejet et une méchanceté qui feront de notre asticot géant un vrai monstre.
La compassion n’est donc pas le sujet de l’histoire, bien au contraire, mais elle finit par naître dans le cœur du lecteur, par rejet du rejet. Le roman de Kafka conserve donc toute sa force sous la plume de Hideshi Hino, qui en conserve la noirceur et les questions existentielles sur le rejet et la solitude. Bien qu’appartenant au genre seinen, il aurait toute sa place dans les bibliothèques de lycée pour une leçon de vie et d’anti-conformisme. Sans compter qu’il constitue aussi une alternative très abordable à l’œuvre d’origine.
À essayer. Vraiment.
Titre : L’enfant insecte
Auteurs : Hideshi HINO
Date de parution : 22 mars 2012
Éditeurs fr/jp : IMHO / Sobisha
Nombre de pages / Format : 208 pages / 14.7*21 cm
Prix de vente : 14 €
Nombre de volumes : 1
© Hideshi Hino/IMHO