Tu seras un homme mon fils by Jean-Marc Ferré

Publié le 20 mars 2012 par Pointofview @ptofvw

Rentrer dans le cadre, être comme tout le monde, imiter, mimer, calquer, décalquer.
À ton âge j’étais marié, j’avais des enfants, à ton âge… Célibataire ? 40 ans ? Il y a un problème !
Il y a un problème ? Dans ta vision des choses peut-être… Combien de fois m’a t-on demandé quand, enfin, je deviendrai stable, quand, enfin, je ferai comme tout le
monde, quand, enfin, j’aurai la joie d’être papa ? La joie d’être papa, faut-il encore en être persuadé. Cette façon qu’ont certaines personnes d’occulter et de simplifier une
partie de leur vérité… Les enfants sont tellement extraordinaires, tous, alors d’où sortent tous ces gens si ordinaires que je croise ?
Le temps passe, n’oublies pas que le temps passe, tu n’as pas toute la vie.
J’ai toute ma vie, elle m’appartient, intégralement.
Je m’interroge, je compte mes pas, je compte mes doigts, un, deux, et puis trois… Je voudrais savoir où je suis, où j’en suis, ce qu’il me reste dans cette vie, je voudrais
sans en être vraiment sûr.
Je regarde derrière, devant, de tous côtés, encore. Je me mire, j’introspecte, je dissèque, j’analyse, je divise, j’expertise, j’algébrise, j’arithmétise. Un bilan qui balance
pour un résultat. J’ai un doute, je redoute l’erreur, la faute, l’oubli. Je re-brosse, rebrousse, un demi-tour, une fois, deux fois, je fais valser mes souvenirs, une valse qui a
mis le temps à part, de côté. Une pause qui pose les choses sur un papier, immaculé à la naissance et puis teinté, encré, tatoué, par quelques coups de crayon, noir
pour l’histoire, bleu pour mes yeux, rouge pour la rage, blanc pour le black – out.

J’ouvre les yeux, j’observe le temps, l’heure c’est l’heure, ma montre comme une prothèse, une obsession, une partie de moi. Je sais, je vieillis et la petite aiguille tourne
bientôt comme une grande. Je conscientise précisément inconsciemment, le temps s’accélère, la fin se dessine, dessein de vie, du flou d’abord, puis l’horizon qui se
rapproche.
Est-il temps de ne plus penser qu’à moi, de m’inquiéter pour une autre, de créer autre chose, une autre vie, suis-je prêt à endosser cet autre costume, à devenir adulte.
Adulte, comme un gros mot, comme un défaut, un homme qui n’a plus d’emprise sur le temps, qui ne voit plus le monde qui l’entoure, pris dans le train-train, dans les
tracas, dans les devoirs, sans plus de droits. Une gestion en bon père de famille comme ils disent, il en existe, homme responsable comme il se doit sur qui tout et tous
reposent. De larges épaules qui me paraissent si frêles, la mélancolie au fond de l’oeil, le regret de ne plus être célibataire, l’envie ressentie quand je leur parle de ma vie.
Mais il le faut, fonder une famille, on se doit d’en avoir une, j’ai bien compris, c’est ainsi, c’est le cadre, la société, on est élevé pour élever, on reproduit de père en fils,
alors on fait croire à tout le monde que tout est merveilleux, et tellement facile comme une image d’Épinal.
Mais après tout pourquoi pas ! Mais alors créer cette nouvelle vie, l’inventer, sans clichés, sans train ni rail, sans chemin tout tracer, un funambule marchant sur son fil,
équilibriste de la vie, et pour tout cela, rencontrer.

Ouvrir les yeux, être attentif, mater, mirer, bigler, scruter, toiser, jeter un oeil pour trouver l’île à défaut d’elle, un Eden pour une Eve. Une âme en peine sereine et gaie,
une Ariane, une Pénélope, comme un bâton de pèlerin. Celle qui sera là et toujours là, qui me guidera tel un sherpa vers ce qu’il a de meilleur en moi, un Nirvana,
l’Annapurna.
Rencontrer quelqu’une, peu quelconque, prête à dompter ce lion, pour que ma montre n’ait plus d’aiguilles.

Partager mes 40 ans pour n’en faire que 20, et ne plus entendre l’interminable refrain que l’on me sert sans cesse : Toujours célibataire ?

By J’m

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