Magazine Amérique latine

Colombie: Pouvoir et paramilitaires à l’ombre des palmiers

Publié le 02 avril 2012 par Rene Lanouille

Manuel Ruiz, le paysan assassiné Manuel Ruiz, le paysan assassiné Le père Alberto, directeur de la commission Justice et Paix, tourne nerveusement en rond dans son bureau. Ses yeux ne peuvent se détacher du portable silencieux posé sur la table. Une sonnerie stridente. Alberto se jette sur le téléphone. “On vient de trouver son corps,” lance une voix perturbée. “Padre Alberto, prévenez la presse, il a un impact de balle sur le front”.
Il s’appelle Samir Ruiz, 15 ans. Il vient d’être repêché du Río Pavarandó, en plein département du Chocó (nord-ouest de la Colombie). Son père, Manuel Ruiz, a été retrouvé la veille un peu plus en amont du fleuve. Une blessure similaire sur le front.
Cinq jours plus tôt, tous deux avaient été arrêtés par des paramilitaires dans le bus qui les emmenait à Curvaradó. Quelques heures plus tard, un communiqué du groupe armé annonçait qu’ils avaient été exécutés et balancés dans le fleuve. Sans sommation.

Usurpation de terres

Manuel était un leader du mouvement de récupération de terres de la commune de Riosucio. Ce mouvement a émergé en 1997, lorsque les villages de Curvaradó et Jiguamiandó ont été violemment vidés par des paramilitaires. Peu après, les terres ont mystérieusement été envahies de cultures d’huile de palme. Depuis, le mouvement dénonce l’usurpation des terres par des entrepreneurs et s’évertue à les récupérer.
Début 2000, l’organisation paysanne démontre à Incora (institut colombien de la réforme agraire) que 25.479 hectares ont été subtilisés aux paysans de Riosucio. Documents en main, les entrepreneurs martèlent en être légalement propriétaires. Le ton monte. L’obstination des paysans irrite les latifundistes. Les menaces contre les leaders se succèdent et plusieurs d’entre eux sont assassinés : Orlando Valencia en 2005, Alberto Hoyos en 2008, Benjamin Gómez en 2009, Angelito Diaz en 2010, les frères Agamez en 2011.
Et aujourd’hui, Manuel Ruiz.

La responsabilité des autorités
Manuel était sur la liste rouge des paramilitaires depuis plusieurs mois. Soucieux de sa sécurité, il a cherché la protection du ministère de l’intérieur. Ses trois requêtes, déposées fin 2011 et début 2012, n’ont obtenu que le silence des autorités.
Le jour de l’assassinat, le ministre de l’intérieur, Germán Vargas Lleras, est sorti de son mutisme et a exprimé sa colère : “nous devons éviter que certains groupes freinent le processus de restitution des terres”. Il a en outre encouragé la communauté à ne pas céder à “l’intimidation” des acteurs armés. Les paysans de Curvaradó se sont étonnés de la compassion soudaine du ministre.
Face à la caméra de Telesur, le père Alberto s’interroge sur la responsabilité des autorités : “Manuel venait de poser une plainte pour occupation illégale de terres. Et les pouvoirs locaux l’ont rapporté aux paramilitaires. Tous les groupes sont liés car les intérêts économiques de cette région sont considérables.”
Le regard plongé dans l’objectif, le prêtre enfonce le clou : “combien de morts doit-il y avoir pour que le gouvernement fasse quelque chose ?”
Thimothée l'Angevin

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Rene Lanouille 34849 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog