Il y a cinq ans exactement, le 12 mars 2003, le Premier ministre serbe Zoran Djindjic était assassiné. En attendant la victoire finale du Bien sur le Mal, c’était l’occasion pour l’assassinat de démontrer sa redoutable efficacité politique. Parce que cinq ans plus tard, ceux qui ont tué Djindjic ont gagné. Bien sûr, ceux qui ont pressé sur la gâchette sont morts, sous les verrous ou en fuite. Les porte-flingues, ça n’intéresse personne et encore moins leurs employeurs qui eux n’ont pas cessé de prospérer depuis toutes ces années. Le site serbe d'information B92 revient longuement sur ce sujet qui est encore loin d'être clos.
Il y a quelque chose d’étrangement similaire entre les assassinats de Djindjic et de Kennedy, même si les personnages et les circonstances sont très différents. Ces événements révèlent la nature organique d’une société : les anticorps, connus ou non, éliminent les virus. L’Amérique des années 60 a ceci en commun avec la Serbie des années 2000 : la prépondérance de la mafia jusqu’au cœur du pouvoir. Jusqu’à la victime de l’assassinat lui-même. JFK et Djindjic ont tous les deux un passé lourd de compromissions très dangereuses : le premier avec son père Joe Kennedy, cet Irlandais totalement acquis à la cause des grands boss mafieux industriels qui ne pouvaient accepter les menaces de ce playboy de fiston, après qu’ils l’avaient mis à la Maison Blanche. Et le second, ce politicien très – trop ? – pragmatique qui avait conclu un accord de paix avec les porte-flingues de Milosevic en leur garantissant de ne pas se faire extrader à La Haye. C’est la fable invertie de la vipère et du laboureur.
On n’imagine que dans les mauvais films les réunions secrètes qui mettent au point le 22 novembre 63 ou le 12 mars 2003. La réalité, telle que je la conçois, est moins saisissable. Il suffit d’un coup de fil plein de sous-entendus, peut-être même de malentendus, d’allusions discrètes mais pesantes, de phrases lancées en l’air pour qu’une machine se mette en marche. « Oui, mon ami, nous ne pouvons plus tolérer cette situation, vous ne trouvez pas ? ». « En effet, cher ami, il faudrait peut-être faire quelque chose. J’en discuterai avec qui vous savez… » On déléguera donc les basses œuvres à des brutes fortement compromises, des pantins musclés, entraînés et soumis. L’organisme se referme alors sur l’empêcheur de corrompre en rond, sur ce bacille malfaisant qui menace de briser le système invisible qui se cache derrière l’existant.
Ce 12 mars 2003 à Belgrade, je m’en souviens très bien et je ne l’oublierai jamais. L’atmosphère était tendue depuis plusieurs mois, plus exactement depuis l’extradition de Milosevic à La Haye qui avait divisé la société toute entière. Mais quelque chose qui ressemble à de l’espoir soufflait dans les rues de la ville, tout semblait possible, tout s’ouvrait, tout respirait. Jamais je n’ai connu, avant ou après, une atmosphère plus euphorisante que ces deux années d’avant le 12 mars. Et puis en un jour, en une seule heure, toute l’ambition d’une société, son désir d’ouverture et sa naïveté durement rachetée, tout cela avait disparu. Je me souviens que, le 12 mars, il faisait 21 degrés et un soleil de printemps éclatait dans le ciel. Le 15 mars, le jour de l’enterrement de Djindjic, le soleil était voilé. La température avait chuté à 5 degrés. Elle n’est pas remontée depuis.