Jacques Caplat, référent agriculture à Agir Pour l’Environnement, est l’auteur d’un ouvrage de référence sur l’agriculture biologique, qui explique de façon pédagogique et vivante la réalité concrète de l’agriculture bio au-delà des fantasmes et des idées reçues, puis qui démontre que ce mode de production est le mieux placé pour nourrir une planète à 9 ou 12 milliards d’humains.
Sur le site Agir pour l’Environnement, Jacques Caplat, répond à 3 questions.
Dans votre livre, vous dites que l’agriculture biologique ne se définit pas par la suppression des produits chimiques. Qu’entendez-vous par là ?
L’agriculture biologique a été conçue et développée dans les années 1930. Ses inventeurs (Steiner, Pfeiffer, Howard, Muller) souhaitaient recréer les liens entre l’agriculture et son milieu naturel et humain. Ils considéraient une ferme agricole comme un organisme complexe composé notamment d’un écosystème naturel, de plantes et animaux domestiques et d’humains. Sans écosystème, l’agriculture est hors-sol et déséquilibrée. Sans prise en compte des humains, elle est étouffante et cynique. Alors que l’agriculture dite “conventionnelle” (c’est-à-dire qui fait aujourd’hui convention) a totalement coupé l’acte agricole de son environnement naturel et humain, l’agriculture biologique vise à recréer des liens étroits entre ces trois dimensions. Or, pour qu’un système agricole préserve le sol, l’eau et la biodiversité, il faut en supprimer les engrais et les pesticides car ils détruisent une grande partie de l’activité biologique des sols. La suppression de ces produits chimiques n’est donc pas un but ou un dogme pour les agriculteurs biologiques, c’est un moyen volontaire et conscient, parmi d’autres, pour atteindre leur objectif : pratiquer une agriculture qui respecte les équilibres naturels.
Cette agriculture n’est-elle pas moins performante que l’agriculture conventionnelle ?
Pas du tout. Sur 75 % des surfaces de la planète, l’agriculture biologique obtient de meilleurs rendements à l’hectare que l’agriculture conventionnelle. La baisse des rendements de la bio européenne et nord-américaine est réelle, mais elle est extrêmement spécifique à nos systèmes de monocultures de variétés standard. Les champs européens n’abritent en général qu’une seule variété sur plusieurs dizaines d’hectares, sans écosystème naturel à proximité. Il est vrai que si nous supprimons les “béquilles” chimiques à ces monocultures standardisées, leurs rendements baissent. Mais cela n’est qu’une agriculture biologique “par défaut”, dans un contexte agricole totalement déstructuré ! Dans un système agricole normal, c’est-à-dire comportant plusieurs espèces adaptées au milieu et en interaction avec l’environnement et les savoirs paysans, c’est au contraire l’ajout de chimie qui ne sert à rien. Un hectare de blé conventionnel, avec apport massif de chimie, produit au maximum 100 quintaux, c’est-à-dire 10 tonnes. Un hectare de maraîchage diversifié (légumes variés sur la même parcelle) peut produire 20 à 50 tonnes par an. Il est donc faux et manipulatoire de prétendre que les céréales conventionnelles seraient un modèle : elles ne sont pas performantes.
L’agriculture biologique peut donc nourrir le monde ?
Non seulement elle le peut, mais elle est actuellement la mieux placée pour y parvenir. Sur les trois-quarts de la planète, où les climats sont instables, l’agriculture conventionnelle est une imposture : elle n’obtient de bons rendements qu’une année sur 3 voire une année sur 5. À l’inverse, l’agriculture biologique permet d’optimiser les cultures associées complexes, et peut multiplier les rendements moyens par deux… en assurant une régularité de rendements quelles que soient les conditions de l’année. C’est très simple, une demi-douzaine d’études ont comparé les rendements à l’échelle planétaire et modélisé une conversion bio globale, et elles concluent toutes en faveur de l’agriculture biologique (avec une légère baisse des rendements en Europe mais une très forte augmentation dans les pays du Sud). Il n’existe pas une seule étude qui contredise ce fait agronomique fondamental : une conversion totale de la planète en bio permettrait d’augmenter la production alimentaire globale et de nourrir entre 9 et 12 milliards d’humains. Les agriculteurs français peuvent donc sans complexe s’engager massivement sur la voie de la bio, car c’est bien là une solution à grande échelle.
Lire un extrait et acheter le livre : Jacques Caplat, L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité, Actes Sud, coll. « Domaine du possible » (préface de Claude Aubert)