Amnesty International demande la libération de 6 militants jordaniens détenus depuis bientôt un mois pour avoir, on hésite à l’écrire, « tiré la langue au roi » ! (إطالة اللسان على مقام الملك : ça peut se dire autrement en arabe ? Merci pour les suggestions !) Pour l’heure, ils risquent trois ans de prison pour crime de lèse-majesté. A la suite des manifestations organisées pour les soutenir, une trentaine de manifestants ont été arrêtés ces derniers jours. On ne sait pas exactement leur nombre, 24 ou 36 selon les sources (apparemment les forces de l’ordre jordaniennes travaillent à la douzaine). Qui s’en soucie vraiment puisque le Royaume de Jordanie fait partie de ces régimes tout à fait respectables qui donnent des leçons de démocratie à leurs voisins ? Le roi Abdallah a ainsi été le premier chef d’État de la région à appeler son voisin Bachar, le 15 novembre dernier, à démissionner. En dépit des bouleversements politiques que vit la région, on note d’ailleurs la bonne santé des dynasties locales, par rapport au « républicarchies » (mélange de république et de monarchie) : pas un roi, émir ou sultan de la région n’a connu le sort des présidents Ben Ali, Moubarak, Qaddafi et Saleh.
En juin 2010, c’est un journaliste koweïtien, Muhammad al-Jasem, qui avait passé presque deux mois à l’ombre pour crime de lèse-majesté, avant les événements de l’année 2011 par conséquent. De quoi contredire la démonstration d’un certain Abdullah Al-Madani au Bahreïn, pour lequel ce sont les dérives du « printemps arabe » qui incitent quelques mauvais esprits, animés par l’envie et forts du soutien des organisations internationales, à rompre avec les traditions locales en principe respectueuses des suzerains et des chefs en général. Son article (en arabe), qui passe en revue un certain nombre de législations en vigueur à l’encontre du crime de lèse-majesté (المس بالذات الملكية), signale que la législation marocaine prévoit une peine d’un an de prison (si c’est dans un lieu privé, 3 ans dans le cas contraire).
M. al-Madani a tout de même raison : on peut penser que les bonnes traditions se perdent et que les jeunes générations arabes ne manifesteront plus le même respect que leurs aînées à l’égard des différentes formes de pouvoir. Plus encore que sur la scène politique, c’est d’ailleurs sur le terrain du rapport de l’individu à l’autorité que la pratique généralisée des technologies numériques est en train de produire de puissants changements. On le sait bien au très noble (= chérifien) Royaume du Maroc où une vidéo, mise en ligne via YouTube en mars 2011, a déclenché un déluge de commentaires : on y voyait un vulgaire sujet de Sa Majesté lui faire part de toutes sortes de reproches sans même lui reconnaître le « vous » de majesté ! Comme le signale ce billet (en français) écrit en mars 2011, avec les souffles du changement ce type de prise de parole se multiplie. Les réseaux sociaux, tout particulièrement, sont le véhicule d’un échange public qui, pour reprendre le titre d’une conférence récente de Manuel Castells, ne se reconnaît plus « ni Dieu ni maître » !