Exposition qui rassemble pour la première fois l’œuvre photographique du peintre Bernard Dufour, artiste majeur de la scène française.
L’exposition se tiendra du 8 avril au 3 juin 2012 Vernissage le samedi 7 avril 2012 à 18h30 en présence de l’artisteIl est connu pour être peintre. Mais ses photographies éclairent autrement son travail d’artiste attaché à la représentation de sa propre vie. Ce sera la première exposition de photographies au Centre d’art contemporain… par un non-photographe, mais par un grand artiste. L’oeuvre d’un quotidien où intime, infime et grandiose se croisent et s’apprivoisent.
« Tout mêler ou plutôt tout se faire succéder pour tout empiler, à la façon du temps dans son incoercible écoulement. Faire : ne rien retenir, ne rien privilégier… Comme si ce que je fais à l’atelier, quand j’y suis, n’était rien d’autre que l’image de ma vie. Devait n’être rien d’autre que l’image de ma vie. »
Dans cet esprit, et depuis plus de 60 ans, Bernard Dufour pratique régulièrement et presque quotidiennement la photographie. Ce corpus, présenté pour la première fois comme un véritable ensemble au Centre d’art contemporain à Cajarc, constitue rétrospectivement un grand corps composite, qui du noir et blanc argentique des années soixante, aux clichés numériques en couleur des années 2000-2011, témoigne, comme avec la peinture, de sa vie et du souci de vérité de Bernard Dufour.
Au même titre que la polarité peinture-littérature, repérée très tôt dans son oeuvre, celle de photographie-peinture occupe une place importante. À l’exception de la présentation des clichés-verre à la Maison Européenne de la Photographie à Paris en 2000, c’est le plus souvent ce lien photographie-peinture qui a été évoqué dans différentes expositions.
Or, nous souhaitons montrer ici comment l’intérêt de Bernard Dufour pour la photographie dépasse ce propos d’usage. Comment sa pratique permanente et sensible de la photographie est complexe. Comment il met en tension et accuse l’écart entre le réel et l’image. Comment les photographies échappent, malgré les tentatives d’organisation de leur auteur, à toute classification thématique qui les enfermerait dans un genre : la photo de nu, d’architecture, de voyage… Et comment donc, cet ensemble, « véritable bordel de la réalité, de la vie, son désordre perturbateur » est insoumis à tout pouvoir, à toute direction.
« Il me plaît beaucoup que l’usage crée chez moi de nouvelles choses, de même que l’usage de telle ou telle technique, inventent comme moi, autant que moi,
au même titre que moi, dans une multiplication enchaînée et rebondissante des contraintes, des matériaux, donc de mes mains. »
Le titre Manipulations évoque ce jeu avec les matières, les gestes et les formes : le plaisir sensuel du laboratoire comme celui, aigu, du déclenchement, qu’une simple pression du doigt permet de capter. Saisissement du réel, de « ces très exacts reflets optiques de la réalité immobilisés dans l’instant. » Commencée comme la tenue d’un journal, la photographie a connu différentes acceptions pour Bernard Dufour, dont la vie amoureuse et les amitiés constituent le socle du travail. D’abord accumulées dans des boîtes, les images deviennent les modèles pour des peintures dans les années 70. Il amorce ce lien photo-peinture avec une série d’autoportraits réalisés au Pradier en 1972, quand, retiré dans la campagne aveyronnaise, il n’a plus l’occasion de draguer dans la rue les filles qui sont ses modèles à l’atelier. Il va donc rechercher dans ses planches de contact, le corps des femmes qu’il représente dans ses peintures. « Les photos sont pour moi des super modèles complexes, multiples, inépuisables et immuables : du réel à tout jamais mémorisé et disponible. »
Les séances de travail avec les modèles mais surtout avec sa femme Martine (des « photos sexuelles sans pudeur ni retenue »), puis son amante Laure, lui
permettent de saisir « des situations scabreuses avec le maximum d’objectivité sans sombrer dans le naturalisme ».
Sa connaissance de l’histoire de la photographie et son admiration pour les photographes américains, notamment Weegee et Walker Evans, lui procurent une grande modestie quant à sa propre pratique, ce qui est sans doute une des raisons de ce relatif silence sur cet aspect de son oeuvre. Il est fasciné par « ces machines efficaces, précises, ardentes et extrêmement belles » qui suffisent à impressionner l’événement sans qu’il soit nécessaire au photographe d’intervenir. Il fustige le photographe auteur qui veut imposer sa marque, son point de vue alors qu’il adule celui qui, à l’instar d’un Walker Evans, se suffit à fabriquer une gigantesque « leçon de choses : ni édifiant, ni critique : il constate, il enregistre : précisément. »
Il retrouve cette pratique dans celle des photographes de la police criminelle (Identité Judiciaire), qu’il avait analysée pendant deux ans, pour finalement
se voir interdire la publication de cette étude. Interdiction qu’il vécut douloureusement.
Ainsi Bernard Dufour écrit dans son oeuvre polymorphe une sorte de poème épique où la subversion des images est un horizon à portée de mains.
Martine Michard