Nonchalance

Publié le 01 avril 2012 par Ladytelephagy

Ce que Mad Men nous a appris (voilà, la comparaison est lâchée, comme ça c'est fait), c'est qu'il fût un temps où boire, fumer, et arpenter des pièces parfaitement décorées était un véritable mode de vie. Loin de l'état perpétuel d'excitation voire de stress dans lequel nous vivons à présent, le calme, c'était supra chic. On ne déballait pas ses névroses, comme ça, à tout le monde et n'importe qui, et moins encore à son entourage. Non, on s'en grillait une petite et on vidait son verre cul-sec, on affichait un air faussement blasé, et c'était déjà oublié. Tout ça dans un costard ou une robe sublimissime, par-dessus le marché.
C'était ça, avoir la classe. Pas étonnant que dans notre monde survolté, nous ayons tellement envie que la télévision nous rappelle cette magnifique époque d'intériorisation cruelle mais pleine à l'allure impeccable. Magic City a complètement retenu la leçon.

En définitive, que raconte le pilote de Magic City ? Que le patron d'un grand hôtel de Miami tente par tous les moyens d'éviter une grève qui, à quelques heures du début de l'année 1959, pourrait bien lui coûter son affaire. Et pour être tout-à-fait honnête, cette partie-là du pilote dure, toutes scènes comprises, environ quinze minutes.
Que se passe-t-il le reste du temps ? Eh bien, Jeffrey Dean Morgan déambule dans sa suite, dans son hôtel, dans une villa, à la plage ; le cigare au bec et le regard placide en permanence. De temps en temps, sa voix de basse murmure quelque platitude, voire même une menace monocorde, mais son travail s'arrête bien là. Steven Strait se contente quant à lui de passer de scène en scène à la fois en roulant des mécaniques et en brûlant de désir pour une mystérieuse inconnue, habitée par Jessica Marais dont on a à peine le temps de vérifier ce qu'elle a fait de son accent australien tant elle parle peu et s'exhibe beaucoup. Quelques autres femmes jalonnent l'épisode, ce sont toujours des créatures convoitables mais dépourvues d'épaisseur, y compris celle qu'incarne Olga Kurylenko, qui pour être sublime et sympathique dans un même mouvement n'en est pas moins creuse.
C'est à peu près tout. Et pourtant ça marche.
Pilote basé sur l'ambiance, Magic City ne repose pas sur l'efficacité de ses histoires, de ses dialogues ou de sa réalisation. La sobriété prime en tout.
Et en fin de compte, cette nonchalance est tellement contagieuse qu'on n'a pas envie de se plaindre, mais plutôt d'envoyer deux olives faire quelques brasses dans un martini glacé, et d'attendre que les minutes s'égrènent. Tant que la compagnie est bonne et que la musique est sensationelle, que peut-on vouloir de plus, n'est-ce pas ?
Eh bien, le problème c'est qu'à l'issue des 55 minutes que dure le pilote, la question se pose quand même. L'inconvénient c'est que, voyez-vous, si cette recette prend sur moi pendant un pilote, c'est tout-à-fait autre chose sur le long terme. L'expérience Mad Men l'a prouvé : passé le moment du coup de coeur pour l'ambiance, quand commence à se profiler la perspective de se mettre chaque semaine au rendez-vous, eh bien les priorités basculent et j'oublie la série ; il me faut alors des trésors de volonté pour me remettre devant.
L'ambiance c'est bien, mais ça n'est pas assez addictif, et les histoires doivent sembler solides, le fil conducteur doit s'étirer vers l'horizon, les personnages doivent donner l'impression qu'ils ont quelque chose à dire ; or justement, sur le long terme, Magic City n'est capable d'aucune promesse. Et c'est la raison pour laquelle, malgré tout le bien que j'ai pensé de ce voluptueux pilote, je crains de ne pas être capable d'avoir le réflexe, chaque semaine, de me rappeler qu'un nouvel épisode m'attend, tout simplement parce que je n'attends rien d'un nouvel épisode.
Une carte postale n'est pas faite pour s'étirer sur dix épisodes. Et en nous envoyant avec un tel flegme ses bons baisers de 1958, ce pilote de Magic City ne donne pas envie de continuer la promenade en 1959. Pas en l'état. C'est tragique, mais c'est comme ça. Mais, si j'ai bien appris ma leçon, alors sitôt que j'aurai vidé mon verre, je m'y serai déjà faite.