La carte SIM du tendre
Bohème, OlivierSteiner, éd. Gallimard, 224 p., 19 €.
Par VincentLandel
L’un met en scène, à Los Angeles, Tristan et Iseult, l'autre vend del'huile d'olive dans l'île Saint-Louis. Entre l'artiste, marié et père, etTarik Essaïdi, alias Léon, jeune gaycultivé qui cherche « la purification dans la dépravation », se noue undialogue d'un nouveau genre : une correspondance à base de SMS et de mails. Le« rebeu » a glissé dans la poche du maître, après un concert au Prado, un motambigu avec son numéro de téléphone.Bohèmeest le récit de leur commerce numérique. La complicité initiale vire au jeu deséduction, puis au désir déclaré, enfin à la passion, d'autant plus intensequ'elle reste latente.Quand il n'écrit pas à son amant virtuel, Léonvisite les saunas gays de la rue des Dames, surfe sur Facebook et les sitesporno, dévore Proust, Duras et George du Maurier, se goinfre d'antidépresseurs,tandis que son interlocuteur, lassé de son épouse, se captive pour son Tristan. Ils tiennent tous deux que « legrand mystère, ce n'est pas le destin ou le passé, c'est l'imminence, les dixminutes qui suivent».
Une fois endurés les « c'est pas trop cliché, ceque je dis ? » et autres « vous voyez ? », et une fois admis — lalittérature devra s'y faire – le recours permanent au « contact » électronique,le lecteur partage peu à peu la fièvre de ces deux « clandestins de l'amour » qui se caressent par touches declavier interposées et « se réinventent en s'écrivant » dans des messages oùl'indécence la plus crue le dispute à l'exigence la plus pure. L'un en duc deNemours bisexuel, l'autre en princesse de Clèves homo et gigolo combinent uneMme de La Fayette post-romantique, « hardcore & soft »... C'est d'uneaudace du tonnerre, qui n’exclut pas la finesse d'analyse des grands romansépistolaires du XVIIe siècle. Et d'une puissance rare, quandl'auteur fait aller crescendo ledésir, embrasé par la musique de Wagner qui souffle en bourrasque et porte ladouleur de deux êtres qui connaissent trop les chemins balisés de lacristallisation pour la risquer à l'épreuve du sexe et préfèrent « se shooterau lyrisme ».
Léon ira assister à la première de Tristan - point d'orgue du roman-, touten mitraillant de textes, dans un état second, son amant spirituel, qu'iln'approchera pas. Un rendez-vous est pris, bientôt, dans un hôtel, à Trouville,mais que serait le plus haut amour s'il s'accomplissait ? Pendant cette attenteexaltée, le roman gonfle d'un lyrisme à couper le souffle, entre extasesérotiques et extases orchestrales, sur un registre qui épouse le classique etle moderne, concilie Dalida et l'opéra. Jusqu'au suicide frôlé, conçu comme« meurtre de l'autre », dans des pages où Olivier Steiner, vrai petitRimbaud high-tech, dont c'est le premier et sidérant roman, laisse échapper desaccents bouleversants. Un écrivain de 36 ans qui fait sauter les frontièresmorales, sexuelles et artistiques à l'heure duphone et du piètre « post-modernisme ». avec untel culot, c’est trop rare pour ne pas être surligné. Fulgurant !
Olivier Steiner a été élève au Cours Florent de Michel Fau et Stéphane Auvray-Nauroy.
Michel Fau lui a écrit à propos de son roman :"Aurelia Steiner, je viens de refermer ton roman troublant & effrayant (comme toi). La grande scène du suicide est un vertige. En écrivant ce roman tu es plus vivant que jamais ! Signé Michel Fau Vera Baxter la bourgeoise."Aurélia, entre autres... long poème, roman de Gérard de Nerval, qui s'est suicidé pendu à un bec de gazhttp://romantis.free.fr/Nerval/html/aurelia.html
Baxter, Vera Baxter - Wikipédia Vera Baxter vit terrée dans une villa de Thionville-sur-Mer. Elle qui n'a aimé que son mari Jean se confie à une ancienne maîtresse de ce dernier. Elle lui raconte comment il a payé très cher un journaliste pour qu'il devienne son amant, lui qui était si volage. Vera en a beaucoup souffert, songeant... |