Nous avons tous appris un jour que Clovis était le premier des rois de France. Or, il était Français pour la France, il était Belge pour la Belgique et il était Allemand pour l’Allemagne. De Saint Louis, on garde l’image d’un grand souverain, rendant la justice sous son chêne. On ignore qu’il imposa aux Juifs de porter l’équivalent de l’étoile jaune. Jeanne d’Arc est la grande héroïne du Moyen Âge. Pourquoi a-t-on oublié toutes les autres ?
Par Fabrice Copeau.
Revue de l’ouvrage de François Reynaert, Nos ancêtres les gaulois et autres fadaises, Fayard, 2010.
Nombreux sont les Français qui s’intéressent à leur passé, nombreux aussi ceux qui se désolent de mal le connaître. François Reynaert, chroniqueur au Nouvel Observateur, nous livre ici un ouvrage qui non seulement met à mal les préjugés de l’école de la IIIe République et les images d’Epinal du Mallet et Isaac, mais aussi les laudateurs d’une France millénaire… et fantasmée.
L’histoire dite de France a de tous temps été manipulée, réécrite, récupérée par les différents courants politiques religieux, royalistes ou nationalistes, qui en avaient un besoin idéologique. Ce phénomène se poursuit aujourd’hui. Et il reste bien des traces des manipulations passées. Les Gaulois qui ouvrent le livre, découverts au XIXème siècle et transformés en nos ancêtres dans un temps de nationalisme anti allemand, nous ont été transmis sous la forme risible d’Asterix. Aujourd’hui, si tout le monde croit savoir qui étaient les Gaulois, combien en ont une idée à peu près juste ? Combien comprennent à quel point il est absurde d’en faire les descendants fort opportuns des « Français » ?
La plupart du temps, les Gaulois suffirent, ils disposaient d’un avantage certain : ils plaisaient à tout le monde. La droite nationaliste était contente de voir ainsi la « race française », comme on disait encore, assise sur cette souche issue du fond des âges. La gauche anticléricale voyait dans ces ancêtres un atout majeur : ils permettaient de commencer l’histoire de France avant l’arrivée du christianisme. C’était bien la preuve qu’elle pouvait éventuellement se perpétuer après sa disparition. Les historiens, puis les romanciers, les dramaturges ou même les chansonniers, en touillant tant et plus les rares sources dont ils disposaient dans les casseroles de leurs fantasmes, réussirent peu à peu à forger une idée des Gaulois correspondant opportunément à l’image que les Français voulaient bien avoir d’eux-mêmes : querelleurs, un peu grossiers parfois, mais au grand coeur et si braves. Et les Français, ravis, adorèrent d’autant plus leurs nouveaux grands-pères : comment ne pas les aimer ? Ils nous ressemblent tellement !
La manière dont nous percevons la « chute » de l’Empire romain, assiégé et envahi par les Barbares, ne correspond en rien à la manière dont celui-ci a été perçu en Orient, à Constantinople en particulier, pas plus qu’il ne correspond à l’Empire d’Otton Ier.
Autre exemple, la poussée Arabe en Europe, portée par la richesse et la splendeur d’Al-Andalus. Si l’on a porté aux nues la bataille de Poitiers par laquelle Charles Martel arrêta Abd El Rahman, ce fut avant tout, explique Reynaert, pour valoriser le fondateur de la dynastie carolingienne et cacher son coup de main sur l’Aquitaine, but réel de l’opération.
En passant au Moyen-Âge, l’auteur s’amuse avec une ironie savoureuse à montrer l’absurdité de vouloir interpréter l’histoire de l’époque en fonction des valeurs nationalistes des XIXe et XXe siècles.
L’histoire populaire continue en effet de fonctionner sur de vieux archétypes… C’est à travers les films, la télévision que l’on continue à véhiculer certains clichés. Par exemple, le Robin des Bois de Ridley Scott, qui a fait l’ouverture du festival de Cannes, véhicule de mauvaises images : on y voit deux peuples ennemis avec deux identités particulières. Or à cette époque, il n’y avait pas d’idée de nation, c’était un système féodal. Les rois s’échangeaient des terres… comme le Duché de Normandie. Et puis, on voit Richard Coeur de Lion comme un grand roi d’Angleterre, or il était le fils d’Aliénor d’Aquitaine, il a été élevé dans le Poitou et il y est mort. Il ne parlait pas anglais et n’a vécu que six mois en Angleterre…
Les « trahisons » de Ferrand de Flandre à Bouvines (1214) et du connétable de Bourbon à Pavie (1515) sont à relativiser en des époques où les Nations n’existaient pas encore.
Autre illustration, le traité de Troyes de 1420, qui, durant la Guerre de Cent ans, marque la suprématie anglaise et qui prévoit que le roi de France Charles VI aurait à sa mort pour successeur le roi d’Angleterre Henri V. En réalité, et contrairement à la propagande nationaliste, les grands opposants au traité de Troyes et à ce qu’il impliquait se comptèrent surtout au parlement de Londres, et parmi eux les grands de ce côté-là de la Manche. Leur raisonnement était simple. L’Angleterre était bien moins vaste, bien moins riche, bien moins peuplée que la France.
En devenant souverain à la fois des deux pays, le roi finirait bien vite par s’occuper uniquement du gros pour délaisser le petit. En outre, le choix même de ce prince-là ne leur plaisait guère : quelle confiance accorder à ce petit Henri, élevé en France par une mère princesse française ? Il leur paraissait évident qu’un tel individu n’aurait de cesse de chercher à les franciser. Avaient-ils tort ? Sans doute pas.
Plus encore :
Si Jeanne d’Arc n’avait pas été là, entend-on parfois, nous serions devenus anglais, nous parlerions leur langue, nous roulerions à gauche. Erreur, sans Jeanne d’Arc, le contraire aurait pu se produire : les Anglais se seraient remis à parler le français et ils rouleraient à droite. La France n’aurait pas été perdue. Elle aurait été doublée.
L’Allemagne décrétée «ennemie héréditaire» en 1914 et 1939 succède dans ce rôle à l’Angleterre qui l’a été jusqu’en 1898 (Fachoda) et à l’Autriche, qui le fut par épisodes.
Reynaert essaie aussi de voir comment est perçue l’histoire de l’autre côté… Qu’est-ce que l’histoire allemande raconte de la guerre de 1914-1918 par exemple ? On n’a toujours vu que le côté français. Mais personne ne sait, par exemple, que les blocus anglais ont affamé la population berlinoise en 1916-1917. 800 000 personnes sont mortes de faim. Ça n’a jamais été le cas le cas dans les villes françaises par exemple… même si la Première Guerre Mondiale a été atroce pour une petite partie de la France occupée. Selon les époques, la guerre n’a pas été traitée de la même manière.
Derrière les mots se dévoile un auteur plein d’empathie et d’amour pour la France. Il donne vie aux grands personnages du « roman national » et à d’autres moins connus, comme le vigneron juif Rachi (1040-1105).
Lutter contre ces « clichés nationalistes » est le programme que se donne ce livre. Avec souvent quelques formules savoureuses, qui raisonnent particulièrement de nos jours :
Pour les nationalistes que le nom de Charles Martel fait vibrer encore, Jésus-Christ est aussi français que le roquefort ou le général de Gaulle. Ils oublient juste que si ce malheureux arrivait aujourd’hui de sa Palestine natale avec ses pratiques bizarres et son dieu étonnant, ils appelleraient la police pour le faire reconduire à la frontière.
Maintes fois, il nous met en garde contre le risque d’anachronisme, le péché mortel de l’historien qui nous amène à juger nos ancêtres avec nos « valeurs » d’aujourd’hui.
François Reynaert atteint l’objectif louable affiché en quatrième de couverture : « Offrir au lecteur une synthèse claire des vingt siècles qui nous précèdent et donner à la France d’aujourd’hui une histoire ouverte et généreuse… »