On parlait de séquestration
À propos d’un procès récent
Lors d’un diner, rue de la Convention.
Le marquis de Saint-Vincent
Se leva et nous dit :
« Une histoire m’a bouleversé l’esprit.
C’était en mai 1827.
Je me trouvais en vacances à Sète.
Je me promenais sur le quai
Et je rencontrai
Mon ami de jeunesse Francis de…
Nous nous étions beaucoup aimé
Tous les deux.
Mais depuis ce temps,
Je ne l’avais jamais revu, jamais.
Ses cheveux étaient devenus tout blancs.
Il marchait courbé, comme épuisé.
Il me semblait considérablement vieilli.
Il vit ma surprise et me conta sa vie.
Un malheur terrible l’avait brisé.
Devenu follement amoureux,
Il avait épousé Jeanne Lehideux.
Après un an de félicité
Et d’une passion inapaisée,
Elle était morte subitement.
Il quittait son château après l’enterrement
Et était venu habiter près de Sète
Dans une maison discrète.
Il vivait là, solitaire, rongé par la douleur,
Ne pensait qu’à un suicide libérateur.
-Puisque je te retrouve ainsi
Et que je ne connais personne ici
Pourrais-tu, me dit-il, aller chercher
Chez moi, dans ma chambre à coucher
Quelques papiers dont j’ai un urgent besoin.
Il me faut une absolue discrétion
Et, pour moi, il n’est pas question
De retourner dans cette maison.
Il m’expliqua ce que je devais faire
Et me confia la clé de son secrétaire.
J’y allais.
Le manoir semblait
Abandonné depuis vingt ans
La barrière tenait debout on ne sait comment.
Je l’ouvris sans peine et j’entrai.
Mais un court instant je dus m’arrêter,
Saisi par l’odeur moisie des pièces inhabitées.
Peu à peu, mes yeux s’habituèrent à l’obscurité.
Au premier étage j’accédai
À une chambre toute désordonnée.
Il y avait un lit sans draps
Mais gardant ses oreillers et son matelas
Et qui portaient l’empreinte, proprio motu,
D’un coude ou d’une tête
Comme si on venait de se poser dessus.
La porte d’une armoire était entrouverte.
Je renonçai à l’espoir d’y voir plus clair
Et j’allai au secrétaire.
J’étais en train de déchiffrer les suscriptions
Quand je crus sentir un frôlement derrière moi.
Je n’y fis point attention.
Un courant d’air dans les rideaux de soie ?
Mais après, un autre mouvement indistinct
Me fit passer un frisson certain
Sur la peau.
Je venais de découvrir les papiers
Qu’il me fallait
Quand un long soupir poussé dans mon dos
Me fit sursauter.
Je me retournais.
Une femme vêtue de blanc me regardait.
J’ai failli m’affaisser sur le tapis.
Personne ne peut savoir,
À moins de les avoir ressenties,
Ces épouvantables et stupides terreurs.
On ne sent plus son cœur.
J’ai cru mourir
Mais je ne crois heureusement
Ni aux fantômes ni aux apparitions.
Quand je retrouvai ma raison
Elle me dit d’une voix douce et lisse :
-Oh ! monsieur, rendez-moi un service !
Oh ! je souffre !
Je souffre atrocement. Je souffre.
Vous pouvez me guérir, me sauver.
Elle s’assit doucement et m’observait.
Puis elle me tendit un peigne et murmura :
-Peignez-moi ; cela me guérira.
Ses cheveux noirs je les peignai.
Cette longue chevelure, Je la renouai.
Elle me dit :-Merci !
Et s’enfuit.
La panique m’envahit.
Je saisis la liasse de papiers ;
Je sautai dans l’escalier
Et partis.
Arrivé chez moi, je m’aperçus
Que mon pardessus
Était couvert de cheveux longs,
Certains s’étaient enroulés aux boutons !
J’appelai mon valet
Car je me sentais trop ému, trop troublé
Pour aller le jour même chez mon ami.
Je lui demandai de lui porter
Ses papiers avec célérité.
Le lendemain je me rendis chez lui,
Résolu à lui dire la vérité vraie.
Il était sorti la veille et n’était pas rentré !
Je revins dans la soirée, il était absent.
Pendant une semaine, j’attendis sagement.
Personne ne le revit.
Alors je prévins la gendarmerie.
On le fit rechercher
Partout, sans succès.
La visite du château ne donna rien.
On n’y découvrit rien de suspect.
Personne n’y trouva de femme cachée.
L’enquête n’aboutissant à rien,
Les recherches furent interrompues.
Je ne sais rien de plus !
René de CÉSSANDRE
Les yeux sont aveugles lorsque l’esprit est ailleurs.
Publius Syrus