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APPARITION, d'après Maupassant

Publié le 01 avril 2012 par Dubruel

On parlait de séquestration

À propos d’un procès récent

Lors d’un diner, rue de la Convention.

Le marquis de Saint-Vincent

Se leva et nous dit :

« Une histoire m’a bouleversé l’esprit.

C’était en mai 1827.

Je me trouvais en vacances à Sète.

Je me promenais sur le quai

Et je rencontrai

Mon ami de jeunesse Francis de…

Nous nous étions beaucoup aimé

Tous les deux.

Mais depuis ce temps,

Je ne l’avais jamais revu, jamais.

Ses cheveux étaient devenus tout blancs.

Il marchait courbé, comme épuisé.

Il me semblait considérablement vieilli.

Il vit ma surprise et me conta sa vie.

Un malheur terrible l’avait brisé.

Devenu follement amoureux,

Il avait épousé Jeanne Lehideux.

Après un an de félicité

Et d’une passion inapaisée,

Elle était morte subitement.

Il quittait son château après l’enterrement

Et était venu habiter près de Sète

Dans une maison discrète.

Il vivait là, solitaire, rongé par la douleur,

Ne pensait qu’à un suicide libérateur.

-Puisque je te retrouve ainsi

Et que je ne connais personne ici

Pourrais-tu, me dit-il, aller chercher

Chez moi, dans ma chambre à coucher

Quelques papiers dont j’ai un urgent besoin.

Il me faut une absolue discrétion

Et, pour moi, il n’est pas question

De retourner dans cette maison.

Il m’expliqua ce que je devais faire

Et me confia la clé de son secrétaire.

J’y allais.

Le manoir semblait

Abandonné depuis vingt ans

La barrière tenait debout on ne sait comment.

Je l’ouvris sans peine et j’entrai.

Mais un court instant je dus m’arrêter,

Saisi par l’odeur moisie des pièces inhabitées.

Peu à peu, mes yeux s’habituèrent à l’obscurité.

Au premier étage j’accédai

À une chambre toute désordonnée.

Il y avait un lit sans draps

Mais gardant ses oreillers et son matelas

Et qui portaient l’empreinte, proprio motu,

D’un coude ou d’une tête

Comme si on venait de se poser dessus.

La porte d’une armoire était entrouverte.

Je renonçai à l’espoir d’y voir plus clair

Et j’allai au secrétaire.

J’étais en train de déchiffrer les suscriptions

Quand je crus sentir un frôlement derrière moi.

Je n’y fis point attention.

Un courant d’air dans les rideaux de soie ?

Mais après, un autre mouvement indistinct

Me fit passer un frisson certain

Sur la peau.

Je venais de découvrir les papiers

Qu’il me fallait

Quand un long soupir poussé dans mon dos

Me fit sursauter.

Je me retournais.

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Une femme vêtue de blanc me regardait.

J’ai failli m’affaisser sur le tapis.

Personne ne peut savoir,

À moins de les avoir ressenties,

Ces épouvantables et stupides terreurs.

On ne sent plus son cœur.

J’ai cru mourir

Mais je ne crois heureusement

Ni aux fantômes ni aux apparitions.

Quand je retrouvai ma raison

Elle me dit d’une voix douce et lisse :

-Oh ! monsieur, rendez-moi un service !

Oh ! je souffre !

Je souffre atrocement. Je souffre.

Vous pouvez me guérir, me sauver.

Elle s’assit doucement et m’observait.

Puis elle me tendit un peigne et murmura :

-Peignez-moi ; cela me guérira.

Ses cheveux noirs je les peignai.

Cette longue chevelure, Je la renouai.

Elle me dit :-Merci !

Et s’enfuit.

La panique m’envahit.

Je saisis la liasse de papiers ;

Je sautai dans l’escalier

Et partis.

Arrivé chez moi, je m’aperçus

Que mon pardessus

Était couvert de cheveux longs,

Certains s’étaient enroulés aux boutons !

J’appelai mon valet

Car je me sentais trop ému, trop troublé

Pour aller le jour même chez mon ami.

Je lui demandai de lui porter

Ses papiers avec célérité.

Le lendemain je me rendis chez lui,

Résolu à lui dire la vérité vraie.

Il était sorti la veille et n’était pas rentré !

Je revins dans la soirée, il était absent.

Pendant une semaine, j’attendis sagement.

Personne ne le revit.

Alors je prévins la gendarmerie.

On le fit rechercher

Partout, sans succès.

La visite du château ne donna rien.

On n’y découvrit rien de suspect.

Personne n’y trouva de femme cachée.

L’enquête n’aboutissant à rien,

Les recherches furent interrompues.

Je ne sais rien de plus !

René de CÉSSANDRE

Les yeux sont aveugles lorsque l’esprit est ailleurs.

Publius Syrus


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