A$AP Rocky, comme une (r)évolution des mentalités rapologiques

Publié le 31 mars 2012 par Soulbrotha

J'ai vieilli, je subis les buzzs plus que je ne les flaire, désormais. J'ai beaucoup attendu avant de découvrir la tornade A$AP Rocky. Il faut dire que j'ai encore du mal à comprendre et à déchiffrer un phénomène comme celui là. Aujourd'hui, j'observe la trajectoire de ce jeune rappeur, à peine signé, auteur d'une simple tape gratuite et déjà superstar mondiale et j'y vois le symbole de profondes mutations dans le Rap et ce à tous les niveaux.
Le premier choc engendré par A$AP est sa musique, bien sur. Ses morceaux enfumés sont hypnotiques, obsédants tout le long d'un LiveLoveA$AP qui fait plus figure de trip hallucinogène à coups de cocaïne, codéine et autres joyeusetés que de recueil musical. Ce son lancinant et laidback fait très south, une véritable allégeance à la scène de Houston (UGK, Chamillionaire...). C'est un vrai choc, Rocky est un pur produit new-yorkais mais il tourne complètement le dos à sa tradition locale et est clairement inspiré par les rappeurs sudistes. Même la pochette du skeud n'est qu'un hommage au "Stankonia" d'Outkast. C'est très nouveau et ça marque la fin d'une sorte de régionalisme qui fait place à une scène rap globalisée, quelque part. Les influences s’emmêlent, les "héritages" culturels deviennent relatifs, les particularismes s'estompent. Puis aussi, surtout, quel cinglant désaveu pour la scène new-yorkaise!
Dans un deuxième temps, on peut aussi être surpris par l'incroyable succès d'un mec sorti de nulle part et déjà signataire d'un contrat à hauteur de 3M$ avec Sony. AZ raconte toujours la légende selon laquelle il aurait décroché un deal en major avec son simple couplet sur le "Life's A Bitch" de Nas. L'histoire d'A$AP Rocky est similaire. Comment décrocher un deal à six zéros et déclencher un tel raz de marée mondial avec UNE SEULE TAPE? On parle là de 16 morceaux, moins d'une heure de musique, autrement dit pas grand chose. C'est un battement d'aile de papillon qui a provoqué la tornade. Pas de featurings, pas de concerts, pas de pression de la rue, juste un lien mediafire bien propagé. Il suffit aujourd'hui qu'une simple tape enregistrée dans une cave tombe dans la bonne boite mail pour provoquer un buzz planétaire.
Ce qui nous mène au dernier grand chambardement qu'illustre le carton d'A$AP: son public. Restons en France pour nous en convaincre. J'ai eu l'idée de cet article après avoir entendu parler de son premier show à Paris. J'avais été profondément interpellé par le fait que sa première salle ne soit pas, au pif, le Bataclan ou la Maroquinerie mais le Social Club. Le Social est un lieu profondément hype où se croisent, parait-il, la plupart des cool kids de la capitale (amis parisiens, corrigez moi si je dis des bêtises, c'est très possible), on est loin des backpackers, quoi. Le public français du rappeur new-yorkais se place donc quelque part par là, entre hipsters et hypeux, loin d'un auditoire Rap classique. On parle plus du phénomène sur Les Inrocks, Tsugi (qui place même une acrobatique comparaison avec Lana Del Rey...) et Vice voir même sur le site du Monde que dans l'Abcdr du Son. Les vieux routiers du Rap semblent plus circonspects; tout le monde apprécie l'OVNI à sa juste valeur (qui est énorme, hein), l'enthousiasme est aussi grand mais on reste serein. Aussi, ils en ont vus d'autres, des gars sortant des tapes irréelles avant de se ramasser avec pertes et fracas au moment de faire un album.
Bref, tout ça pour dire qu'on peut trouver le succès d'A$AP Rocky mérité mais aussi très caractéristique d'un Rap Game métamorphosé. De l'inspiration décomplexée des rappeurs à l'intégration de nouveaux publics en passant par la déstabilisation des rouages de l'industrie, cette musique évolue sous nos yeux de façon spectaculaire et probablement durable. Une fois de plus. Après tout, c'est aussi pour ça qu'on l'aime, ce putain de Rap, il déteste le confort, les certitudes et la routine.
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