« J’y suis allé en train dans mon costume prince de galles. J’avais pensé je n’ai pas d’expérience, j’avais pensé sa vie est meilleure que la mienne, pensé qu’à nouveau nous pourrions nous entendre. Il n’y avait plus rien à manger et rien à discuter mais encore à boire sous le soleil dans le jardin de ce samedi après-midi, un soleil d’hiver qui réchauffait parce que ça semblait déjà le printemps, dans ce jardin où les gens parlaient, allaient et venaient, étendue modeste, carré de verdure pelé, barbecue et table avec nappe en papier près de Paris. Dans ce jardin des gens dont j’oublie les conversations en les entendant et lui, le frère, qui va et vient et ne me parle pas. »
AVIS:
Nous ne vous mentirons pas, « Cérémonie » est à ranger dans la catégorie des « livres qui se méritent ». Ce que nous voulons dire par là, c’est que vous n’arriverez pas à le lire un lendemain de soirée, ou alors quand votre coloc chante du Michel Telo depuis déjà une heure. Le livre de Bertrand Schefer est loin d’être accessible, et il y a plusieurs raisons à cela.
La mise en page du texte ne prête pas à une lecture fluide et légère. Les 121 pages de l’ouvrage sont présentées sans chapitre numéroté. Le texte est justifié et entouré par d’énormes marges. Bref, cela nous donne à l’arrivée un texte compact, sans paragraphe, saut de ligne ou alinéa.
La structure même du texte est quelque peu élitiste. Les phrases sont longues, entrecoupées de virgules, de descriptions vagues, et les personnages ne sont jamais à proprement parlé nommés. L’absence totale de dialogue renforce encore la difficulté d’appréhension du livre pour le lecteur. Le sujet même du roman n’est pas quelque chose de plaisant, facile, ou jovial puisqu’il s’agit de la disparition d’une femme, elle non plus jamais nommée, mais qu’on comprend vite être la mère du narrateur.
Passé toutes ces difficultés, l’envie véritable de s’attarder sur la « Cérémonie » de Bertrand Schefer semble s’estomper. On s’énerve, on crie à la masturbation intellectuelle, on lève les yeux de dépit à la fin de chaque phrase, qui parfois peut avoir la longueur d’une page entière. Et puis quelque chose se produit, on ne sait trop pourquoi mais après des pages et pages de lecture inutile puisque vous êtes incapable de résumer ce que vous venez de lire, se passe un miracle. Vous découvrez l’émotion et la magie des mots de l’écrivain. Vous comprenez enfin le désespoir et la douleur du narrateur. Vous vous retrouvez en lui, en ses émotions pendant cette « Cérémonie » si particulière.
Ce sur quoi s’attarde Bertrand Schefer c’est tout le voyage psychologique de son narrateur confronté à la disparition de celle qu’il aimait le plus, sa mère. On traverse les étapes d’un deuil cruel, la sidération de la mort, les regrets de choses qu’on aurait souhaité exprimer, la mémoire qui se joue de nous, les sentiments d’abandon…Bref, un deuil, un vrai.
La « Cérémonie » dont il parle n’est pas en fait celle qu’on pourrait penser, cet enterrement n’est rien pour l’auteur. Ce qu’est la véritable cérémonie , on le comprend au fil des pages, c’est la vie toute entière, qui n’est qu’un grand prélude à la mort.
A travers ce livre, Scheferrefait tout le parcours d’une vie, en s’attachant au parcours qu’il a fait avec cette femme. Il se souvient des voyages à Rome, des après-midis dans la maison…Il réveille sa mémoire, à la recherche de moindre souvenir dans lequel elle apparaît. Il souffre, sans rien montrer, puisque tout n’est qu’introspection en lui. C’est la raison de cette absence de dialogue, il est comme spectateur et penseur de ce qui se passe autour de lui. Il intériorise ce qu’il ressent. C’est cela qui le rend si touchant pour nous lecteur. C’est cela même qui fait que nous aimons ce livre au delà de toute prétention intellectuelle.
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