"Je voudrais voir Beyrouth..."
Et dans les yeux de certains pétille à cet aveu l'envie similaire, de découvrir le Caire sans sur chaque pas se retourner, d'enfin voir cette Téhéran au jasmin entêtant, de pénétrer dans Sana'a rougeoyante au levant. "Tu peux, non? Avec ton passeport français!" - mon sésame ne suffira pas. Non, je veux voir cette ville sans me cacher, vivre des discussions enflammées de géopolitique et de situations figées, gouter des pâtisseries au miel à l'Ouest de Beyrouth, rencontrer les Libanaises aux décolletés provocants à l'Est, et parler avec celles voilées jusqu'aux ongles au Sud.
"Metulla! Dernier arrêt!"
C'est la Journée de la terre, nous sommes vendredi. Tsahal est en alerte, pas question de risquer de laisser le scénario des infiltrations du Jour de la Nakba en mai dernier se reproduire. Devant nous, quelques derniers mètres d'une zone militaire fermée le long de la Ligne Bleue et de l'autre coté de la frontière, le Liban. Un hélicoptère blanc de la FINUL survole la zone, ses vrombissements se mêlent à l'appel à la prière d'un muezzin... Tout est calme.
Pour tromper l'attente, on grignote des fruits secs, avant de contempler les survols d'oiseaux migrateurs vers l'Europe. Ils sont en retard pour le printemps. On parle de films, de livres. "Tu as vu Valse avec Bashir?" Je me rappelle la séance d'un MK2 parisien, sa musique singulière, l'atmosphère feutrée puis apocalyptique, la culpabilité brûlante. On parle de guerre, de peurs profondes et d'absurdité. Devant nous, le Liban affiche son calme déroutant. Les émeutiers sont retenus à Beaufort par l'armée régulière libanaise. "Et Séparation, vous avez vu?" L'oscar iranien est un phénomène en Israël, il est toujours projeté dans une salle branchée de Jérusalem, en version originale.
Un pacifiste s'est photographié il y a quelques semaines avec sa fille sur un toit de Tel Aviv. Son affiche et un message simpliste mais fédérateur ("We love you Iranians. We will never bomb your country") ont enflammé la blogosphère israélienne. L'an prochain, nous ne serons plus soldats. On fantasme soudain de revenir à la frontière, avec des panneaux à l'attention des masses arabes. "Tout simple, 'peace', et on amène des centaines d'étudiants de Tel Aviv. Et à la place des soldats, ils voient des Israéliens qui veulent la paix!" On y croit pas du tout. Mais quand même, tout est possible en Orient répètent nos commentateurs les plus pessimistes. Alors pourquoi pas en bien aussi?
A la frontière syrienne, les hauteurs du mont Hermon enneigé se perdent dans une brume peu saisonnière, et tout est calme aussi. Certains commentent déjà la situation comme preuve de l'essoufflement du régime syrien. Reste qu'à Dera'a, à quelques kilomètres à peine, le pouvoir tue. Postés de notre coté face à la barrière renforcée depuis les incidents de l'an dernier, les observateurs de la Croix Rouge n'ont pas ici grande utilité.
Des forces de la police militaires sont déployées face aux positions de l'ONU, d'où les émeutiers s'étaient jetés sur la frontière l'an dernier. Dans les territoires, la manifestation à Qalandia puis à Bethléem s'est transformée en émeute. A Gaza, la foule haranguée par les prêcheurs du Jihad Islamique et contenue par le Hamas s'est ruée sur le point de passage d'Erez. Ici, de façon presque irréelle, tout est silencieux. Les Palestiniens de Syrie ne sont pas venus à l'assaut de Jérusalem.
La conversation se noue avec les soldats, engoncés dans leurs tenues protectrices. "Ils sont manipulés c'est certain, mais quelque part il faut arriver à les comprendre. Ils pensent vraiment qu'ils prendront Jérusalem." Menace collective face à la tragédie individuelle. Voir Jérusalem et mourir? Plus tard, le même dilemne fera face de nouveau en évoquant sur la route du retour les colons évacués de Gaza. En attendant, rien ne trouble les jeux des gamins druzes, montés à l'assaut de l'immeuble en construction où les soldats ont pris position...