Imaginez que vous lisez tranquillement le journal et que la foudre s’abat sur votre maison. Vous sortez dehors et racontez à vos voisins à quel point vous êtes malchanceux. Le lendemain, vous prenez un bain et la foudre s’abat encore sur votre maison. Vous sortez à nouveau dehors pour dire à vos voisins que vous êtes la personne la plus malchanceuse de la planète puisque la foudre s’est abattue sur la maison deux fois en deux jours. Le troisième jour, vous cuisinez et la foudre s’abat encore sur la maison. Là, vous descendez d’abord au sous-sol prendre une pelle. Vous sortez et ne parlez plus de malchance. À votre avis, il y a probablement un objet enterré quelque part qui attire la foudre. Vous êtes déterminé à le trouver quitte à pelleter jusqu’au dernier mètre carré du terrain.
Voici comment le choix des racines du GNPA peut s’avérer si déterminant lors la conception d’un jeu. Psychologiquement, nous exprimons tous une certaine tolérance face au hasard. Mais, il y a des limites. Quand il y a trop d’événements rares qui se suivent, nous enclenchons un mode d’investissement pendant lequel on persiste dans une tâche malgré que l’on ne soit pas immédiatement récompensé. Et, plus l’événement est gros et exceptionnel, plus on est cognitivement résistant contre l’abandon. Cette persévérance est profitable dans le monde réel. Toutefois, dans le monde du jeu, cette force de l’esprit humain joue contre le joueur.
Voyons comment un concepteur de jeu peut récupérer ce raisonnement. Supposons que, pour concevoir un jeu, j’utilise un GNPA qui produit des résultats A, B, C ou D. Typiquement, un GNPA génère des nombres entre 0 et 1. Si le nombre est entre 0 et 0,25, le résultat est A. Si le nombre est entre 0,25+ et 0,50, le résultat est B. Et ainsi de suite.
Sur l’ensemble de sa période, mon GNPA produit autant de résultats A que B que C que D. Il passe aussi tous les tests de certification. Sa période est immense. En fait, dans cet exemple, j’utilise le GNPA d’Excel 2010. Quatre événements sont donc possibles, mais seul le résultat A donne droit à un lot. Les résultats B, C et D ne sont jamais récompensés.
Pour commencer, je me construis une liste de 1000 racines. Pour une partie donnée (qui dure 100 événements), la racine utilisée sera celle qui correspond à la milliseconde de l’heure où le joueur aura débuté la partie. C’est donc le joueur qui choisit, sans contrôler, laquelle des 1000 racines sera utilisée. Mais, c’est moi qui ai fait un choix minutieux des 1000 racines possibles.
Lorsque je construis mon répertoire de racines, bien avant la commercialisation du jeu, je tire des racines au hasard et j’examine les 100 événements que cette racine génère. Je ne conserverai que les 1000 racines qui font mon affaire.
Une première racine pointe vers cette plage:
DABADCBCCADDACCDDDDBDCCCBCDABCAACDCCABBDDCBCDDADCB ADABACCDBCDCBABBBCDBAADDCCCAADBAAABCBBACBDDBBADCCB
Il y a 22 A, 24 B, 28 C et 26 D. La fréquence des événements est relativement équilibrée. Je ne paierai au joueur que 22 lots (au lieu de 25 selon le calcul de probabilité). Mais, comme la loi m’oblige, disons, à remettre 25% des mises, je vais payer un peu plus cher le second A consécutif, et encore un peu plus cher, le troisième A consécutif.
Cette plage est monotone car il n’y a que 3 occurrences de la séquence AA et une seule de la séquence AAA.
Examinons maintenant une seconde racine qui pointe vers cette nouvelle plage :
DBABBCAAADBBCBBBDDBBAADCDBBACDDCADCDBCDDBCDBBABCAD DCCCCCCDDAABDACBBDCDDCCDBBAAAACDCAAADBCCDDCCABBDAD
Il y a 22 A, 24 B, 28 C et 26 D. Mais, cette fois, il y a 1 séquence AAAA, 2 séquences AAA et 2 séquences AA. En termes de lots rares, c’est pas mal plus mouvementé. Encore une fois, je ne paie au joueur que 22 fois. Évidemment, j’équilibre le montant des lots pour ne pas remettre plus que 25% des montants misés.
Dans les deux cas, le taux de remise est le même et la fréquence des récompenses est la même. La différence réside dans le fait que le joueur vit des séquences plus exceptionnelles dans le second cas. À choisir entre ces deux racines, c’est clair que la seconde risque d’être vécue de manière plus excitante par le joueur. Je conserve donc la seconde racine pour mon répertoire de 1000 racines, et je rejette la première. Je répète ensuite cet exercice jusqu’à ce que j’aie 1000 racines intéressantes.
Cet exemple ne comprend que 4 séquences gagnantes (A, AA, AAA, AAAA) et le taux de remise de 25% ne permet pas de créer des lots énormes. En ligne, on trouve cependant des jeux incluant un grand nombre de résultats possibles ainsi que des taux de remise très élevés. La marge de manœuvre du concepteur, pour stimuler une expérience de jeu en apparence exceptionnelle, est alors considérable.
Une séquence de lots, qui fait rejeter l’hypothèse du simple hasard, est désignée comme un gain significatif parce que, pour le joueur, la signification de la situation de jeu change. Alors que, auparavant, il pensait jouer à un jeu de pur hasard, dorénavant, il croit avoir décelé un biais exploitable dans les probabilités ou un défaut dans le jeu dont il pourrait tirer profit. Le joueur devient tolérant aux pertes car il est dans une mentalité d’investissement. S’il persiste trop, il va perdre de l’argent qu’il ne peut pas se permettre de perdre. Typiquement, c’est à cette occasion qu’il tombe dans la trappe du besoin de se refaire en jouant davantage.
Dans cette perspective, l’intégrité d’un jeu n’est absolument pas garantie par une certification du GNPA. S’il n’y a pas un examen des plages pointées par les racines, le jeu a le potentiel d’être particulièrement pathogène.
Photo : P. Mikolajek