Cao Guimaraes Bidouillages 19, 2005
L’exposition de photographies brésiliennes à la MEP (qui s’est terminée le 25 mars) présentait une soixantaine de photographies de la Collection Itaù, en deux ensembles disparates entre lesquels l’accrochage tentait d’établir des correspondances qui ne sont guère que formelles. Mais un catalogue plus élaboré et des cartels plus complets auraient peut-être permis d’aller plus loin dans la compréhension du travail de photographes qui, dans leur très grande majorité, sont peu connus en France, à part Miguel Rio Branco et Vik Muniz. Que ce soit du fait de la collection elle-même ou du choix fait ici, c’est un peu une occasion manquée. Ceci dit, il y a bien des pièces à découvrir, qui incitent à faire ensuite l’effort d’en savoir un peu plus sur leurs auteurs, une fois de retour chez soi entre livres et internet.
Eduardo Enfeldt Echelle en blanc 1957
La première partie sur la photographie ‘moderniste’ est surtout documentaire : les recherches formelles de Moholy-Nagy ou de Man Ray semblent n’être arrivées au Brésil que dans les années 1950s. Si les travaux de Geraldo de Barros (avec ses Photoformes ‘abstractisantes’) ou de Eduardo Enfeldt (avec cette belle échelle de lumière de 1957) sont intéressants en soi, ils ne semblent pas traduire une appropriation brésilienne des avant-gardes (alors que ce fut le cas en peinture ou en littérature, et bien plus tôt).
Rafael Assef Mathématique d'or V, 2000
Après la parenthèse stérile de la dictature militaire (1964-1985), une photographie contemporaine se développe au Brésil. Un bon nombre des œuvres présentées ici font montre d’une recherche formelle et expérimentale qui semble (au contraire de la période moderniste) être contemporaine des mêmes explorations en Europe ou en Amérique du Nord. Sur chacun des deux étages de l’exposition, on est d’abord accueilli par des images vides dans lesquelles le regard sombre. De Rafael Assef, deux grandes photographies (de 2000) d’un blanc entre glace et gélatine, surface striée par des tranchées rouges sang, plus ou moins profondes, plus ou moins épaisses, dessinant des figures géométriques simples. Est-ce une image occultée par le voile blanc et surgissant ici et là ? Est-ce une blessure ? un éclatement de l’image ? un détournement ou une composition ? Dans l’expo ou le catalogue, vous n’en saurez rien, mais ces images restent en mémoire.
Rosangela Renno Rio de Janeiro (photo Jorge William, agence O Globo, série Corps de l'âme) 2003
A l’autre étage, face à un quasi miroir, on peine à discerner l’image, on s’efforce de la regarder de biais pour ne plus y voir son propre reflet et tenter d’y distinguer quelque chose de plus que les trames géométriques plus ou moins serrées qui occupent l’espace. En fait, il m’a fallu consulter le catalogue puis revenir devant la photographie pour voir enfin cette femme cadrée de près nous présentant la photo d’un homme debout. Rosângela Renno’ est une des pionnières de la photographie brésilienne contemporaine ; je ne sais de quoi il s’agit là et le titre ne me dira rien (Rio de Janeiro, 2003). Mais on est sans doute devant un acte mémoriel ; l’homme sur la photo est-il un amant évanoui ou un militant disparu dans les prisons de la dictature ? Parle-t-on ici de deuil et de souvenir ? L’éclatement de la trame, la difficulté à voir renforcent cette douleur mémorielle.
Dora Longo Bahia ST Images Infectées 1999
Tout aussi prégnante semble être cette Image infestée de Dora Longo Bahia (1999), un caisson lumineux où l’image de cet homme paisible dans une palmeraie est percée de dizaines d’infections, éclats explosifs de lumière jaune comme des amibes ou des crabes dévorant la photo. Là aussi, on est sans doute quelque part entre expérimentation formelle et travail de mémoire, mais on ressort perplexe.
Citons enfin, dans toute cette confusion, quelques images aimablement surréalistes comme ce panneau d’affichage vide de Joao Castillo (Tourbillons, 2006) ou simplement drôles et révélatrices comme ces Bidouillages (2005) de Cao
Joao Castilho ST série Tourbillons 2006
Guimarraes (en haut). Mais cela ne suffisait pas à transformer cette simple présentation d’échantillons d’une collection en une exposition construite permettant de découvrir et comprendre ces photographes. J'en suis ressorti intéressé et frustré.
(Sinon, ailleurs dans la MEP, il y avait, entre autres, les formes plantureuses de Laetitia Casta photographiées par Dominique Issermann : quelques images mystérieuses, bien d’autres un peu trop porno-chic)