En 2009, j'ai eu la chance de découvrir Gilles Bergal et Rivière Blanche le même jour. Au détour du rayon Fantastique de ma Bibliothèque préférée, le livre paré de noir semblait m'attendre. Sous le sombre personnage entouré de crânes de la couverture ces mots étaient écrits : "Rivière Blanche". Et puis un logo qui précisait "Anticipation" ainsi que "Fiction" au-dessus et en-dessous des lettres BCP (Black Coat Press comprendrai-je bientôt). J'hésitais, je me disais, c'est français ? Américain ? Alors je l'ai retourné et la quatrième de couverture m' a indiqué en jaune que : Gilles Bergal fut l'un des principaux représentants du fantastique français des années 80. Il publie ici un roman inédit, hommage à Stephen King et George Romero, ainsi qu'un recueil de nouvelles, après un silence de plusieurs années pendant lequel son alter ego, Gilbert Gallerne, s'est fait connaître dans le domaine du thriller psychologique.
Il était français cet auteur donc, mais les références, exceptionnelles, étaient étrangères et le livre avait été imprimé en Angleterre. Ni une, ni deux, je l'emprunte. Je tenais entre les mains un livre qui allait changer ma vie de lecteur. Alors quand l'idée d'un partenariat a été possible il y a deux semaines avec Rivière Blanche j'ai décidé de commencer par relire Amok, déjà trois ans après, afin d'en parler et de partager ma passion sans borne à son égard. Merci à Philippe Ward qui dirige la collection de main de maître et qui m'a gracieusement envoyé un exemplaire pour que je puisse rédiger cet article.
Il faut vous dire que j'ai plutôt été bercé par Marguerite Duras et Marcel Proust, André du Bouchet aussi, Salinger bien sûr, Stephen King également et j'adore les films de Zombies, ceux de Romero en tête. J'ai fait des études très littéraires qui m'ont donné des livres une vision déformée, une connaissance forcément artificielle de leur contenu. Cette idée, totalement illusoire, qu'à partir du moment où c'était écrit, je pouvais comprendre. Et bien non. Il en va des livres comme des personnes, lorsque le mystère surgit ils peuvent parfois, rarement, mais avec un désir insondable, nous conduire vers l'amour. J'en reviens au texte de Gilles Bergal. Il commence par une courte préface de Gilbert Gallerne sur son double de papier : Gilles Bergal, puis le récit démarre sur les pas de Robert Ackerman. Je l'ai suivi entre des hectolitres de sang bouillonnant, une violence froide et sa rencontre éperdue avec Elisabeth au milieu d'un village plongé dans le chaos d'une épidémie de ce qui ressemble à des zombies, partout, combattant, détruisant sur leur passage. Ca va vite, ça file à 24 images par seconde mais c'est un livre et on l'oublie que c'est un livre. Je me surprends à ne plus savoir si c'est un livre ou un film. Il offre un univers qui tue le réel et le remplace dans une véritable extase, une course folle vers un espoir perdu de survie. On pourrait penser à Cormac Mc Carthy, celui de La Route, Mais je me suis plutôt rappelé L'Homme Atlantique de Marguerite Duras qui écrivait : Vous oublierez. Vous oublierez. Que c'est vous, vous l'oublierez. Je crois qu'il est possible d'y arriver. Vous oublierez aussi que c'est la caméra. Mais surtout vous oublierez que c'est vous. Vous. Oui, je crois qu'il est possible d'y arriver, par exemple à partir d'autres approches, de celle entre autres de la mort, de votre mort perdue dans une mort régnante et sans nom. Votre mort perdue dans une mort régnante et sans nom, c'est ça, c'est exactement cela que j'ai ressenti, comme d'être affranchi de la vie. Ce livre m'a fait aimer les livres comme jamais je ne les avais aimé auparavant, ni depuis. C'est compliqué à expliquer, ça se vit cette mort. Regarder les cinq saisons de Six Feet Under a aussi cet effet hypnotique. Les personnages meurent, vivent et meurent. On les suit et on n'a pas le temps de se dire, c'est une série, c'est un film, c'est un livre. On se sent libre, enfin ! Au-delà de la thématique des Zombies, qui donne également son titre au recueil de nouvelles qui suit : Zombie Blues, il y a l'écriture de Gilles Bergal, ciselée et juste. Une simple phrase entraîne l'imaginaire très loin. Dans Black Bayou par exemple : De l'autre côté des eaux mortes, l'antique demeure à colonnades était vaguement visible parmi la végétation luxuriante.Et du flou, l'image surgit et prend vie. Cinématographique et mythique.
Puis le personnage est posé dans le décor et s'y installe sans encombre :
La première chose que l'on voyait c'était les yeux. Des yeux bleus délavés qui semblaient ne plus désirer rien voir. Ce style s'accorde ainsi parfaitement au sujet qu'il traite, comme coupé avec un couteau très effilé : vif et sec. C'est tout cela qui m'a fait redécouvrir la lecture, tout cela qui m'a permis d'en jouir de nouveau comme d'un plaisir simple, sans contrainte à grande vitesse. Pour ce plaisir et tout ceux que j'ai connu depuis grâce à Rivière Blanche : Merci ! Ce fut une joie si extatique que j'avais alors commandé l'autre publication de Gilles Bergal : La Nuit des Hommes-Loups.