La revanche tant attendue de 2007 et 2002 approche, mais l’inquiétude gagne insidieusement celles et ceux qui souhaitent la victoire de la gauche à l’élection présidentielle, et donc de François Hollande. Inquiétude nourrie par des éléments objectifs – l’omniprésence et le suractivisme de Nicolas Sarkozy, des ferments de division à gauche, une certaine fatigue de campagne – et par la couche de commentaires qui les enrobe – les sondages, et surtout la lecture et la scénarisation médiatique qui en sont faites. Et puis il y a le subjectif, qui pèse beaucoup, énormément.
Commençons par l’objectif. Dans les sondages, Nicolas Sarkozy monte, Jean-Luc Mélenchon monte, François Hollande s’érode. Au premier tour. Au deuxième tour, la situation reste remarquablement égale : Nicolas Sarkozy est donné systématiquement perdant et battu par François Hollande, comme depuis des mois. Tous les Patrick Buisson du monde peuvent bien échafauder tous les montages théoriques qu’ils veulent, une élection présidentielle se gagne au deuxième tour. Quant à la progression de Nicolas Sarkozy en elle-même, elle doit être lue pour ce qu’elle est : la conséquence de l’entrée en campagne du candidat sortant, et de son siphonage de toute la droite républicaine, de Nihous à Borloo. Qui pouvait sérieusement penser que le rapport de force, dans ces conditions, demeurerait tel qu’il était quand il n’y avait que François Hollande officiellement en lice ?
La stratégie de Nicolas Sarkozy a toujours été celle d’une campagne courte et tardive, pour produire un choc sondagier au premier tour et tenter de renverser ainsi le second tour. Sa rapide montée dans les sondages, sa campagne-express à un coup d’éclat par jour (conçue pour faire apparaître celles de ses concurrents comme longues et poussives), tout cela était prévisible et attendu. Sarkozy dévoile en deux mois ce que François Hollande construit depuis 6 mois. Tout ceci pour donner une impression d’explosivité et pour affoler un débat qui, autrement, ne laisserait aucune chance à l’homme au bilan calamiteux. C’est de guerre psychologique dont on parle, et celles et ceux, à gauche, qui aujourd’hui laissent la morosité les envahir sont tout simplement en train d’y succomber.
Retrouvons la mémoire. Le« trou d’air de François Hollande » est déjà un marronnier médiatique, qui a poussé une première fois au lendemain des primaires, avant de connaître une nouvelle floraison à la veille du Bourget. Toujours la même histoire, celle de la nécessité pour ceux qui commentent la campagne de lui (re)donner du lustre, de l’imprévu, du rebondissement – précisément ce qu’empêche cette donnée immuable de la défaite de Nicolas Sarkozy au deuxième tour. Il fallait que François Hollande ait des difficultés, dans tous les cas. Au « trou d’air » a ainsi succédé « l’usure ». Same old show. Une petite musique insidieuse qui finit malgré tout par saper le moral de troupes.
Venons-en enfin au totalement subjectif. Plus que la scrutation anxieuse des sondages, plus que la lecture angoissée des commentaires et de leur dramaturgie, il y a, je crois, un facteur psychologique qui pèse : une sorte de peur de gagner désormais bien enracinée à gauche. Trois élections présidentielles perdues d’affilées. Un ronron persistant, où l’on se satisfait finalement de la situation d’opposition, des razzias sur les élections intermédiaires, des rénovations et des reconstructions partidaires à n’en plus finir. Et puis, surtout, le poids du personnage Sarkozy. Au fil des années, il a au moins eu une très belle réussite : parvenir à créer le mythe de son invincibilité politique. Dans la détestation que lui voue la gauche se lit aussi, forcément, de la fascination, et donc l’idée de sa toute-puissance. Et donc, toujours, une forme de sentiment d’impuissance à son égard.
Ces facteurs, joints à la fatigue (pour les militants et sympathisants socialistes) d’une première campagne (les primaires), expliquent une bonne partie de la mauvaise passe que beaucoup ont le sentiment de traverser. Il faut s’en débarrasser, et retrouver l’envie de victoire sans laquelle rien n’est possible. Croire en la victoire. Cette envie, cette croyance qui explique aussi l’actuel succès de Jean-Luc Mélenchon. Hauts les cœurs !
Romain Pigenel