Maurice Lévy penche-t-il pour Nicolas Sarkozy, comme 52 % des Français gagnant plus de 60.000 euros ? Il y a deux semaines, le patron de Publicis avait certes réservé le même accueil cordial à François Hollande et à Nicolas Sarkozy, tous deux venus parler compétitivité au colloque de l’Afep, la puissante Association française des entreprises privées dont il est le président.
Mais devant le parterre de grands patrons, il avait un peu tancé François Hollande en rappelant leurs inquiétudes quant au coût du travail, ou en multipliant les allusions sur la proposition de taxer les revenus à 75% au-delà de 1 million d’euros.
Des phrases semblant innocentes, mais qui prennent tout leur sens depuis lundi. En effet, le président du directoire de Publicis doit toucher cette année 16,2 millions d’euros de rémunération, selon le rapport annuel du groupe.
Pour une taxe exceptionnelle sur les hauts revenus
Maurice Lévy a-t-il anticipé cette fâcheuse nouvelle lorsqu’il s’est montré exemplaire l’été dernier ? Faisant écho à l’Américain Warren Buffet, un des hommes les plus riches du monde qui avait appelé ses amis milliardaires à payer plus d’impôt, le patron français avait plaidé pour une taxe exceptionnelle sur les hauts revenus, d’abord dans les colonnes du « Monde », puis dans le « Nouvel Observateur« .
Sans pour autant remettre en cause sa rémunération, il avait ainsi appelé ses camarades riches à participer à l’effort national et à soutenir la majorité qui a voté en octobre une taxe de 3% sur les revenus de 250.000 à 500.000 euros, et de 4 % au-delà, appliquée jusqu’à ce que les finances publiques soient à l’équilibre.
Le 14 mars dernier, après François Hollande, Maurice Lévy avait reçu Nicolas Sarkozy à la tribune de l’Afep. Et salué la leçon de morale du chef de l’Etat dénonçant les comportements indécents de certains en matière de rémunération. L’as de la communication avait alors jugé bon de préciser qu’aucune personne dans la salle n’était concernée par ce genre de comportements…
Contre une taxe à 75%
Maurice Lévy s’est prononcé contre la taxe de François Hollande. A titre personnel, il a de bonnes raisons. Impossible de calculer précisément à combien il serait imposé si le candidat socialiste était élu. Mais en gagnant 1.000 fois le Smic, il est sûr qu’une nouvelle tranche à 75% instaurée dès la première année du quinquennat ne ferait pas ses affaires.
Pas plus que d’autres patrons ? Latribune.fr, qui a révélé le chiffre lundi, précise que le patron du 3e groupe de communication dans le monde touche un salaire fixe de 900.000 euros, mais aussi des actions (2,6 millions d’euros en 2010, zéro en 2011) et des stock-options (6,6 millions d’euros en 2011). Il ne bénéficie pas de parachute doré, mais il recevra 5,4 millions d’euros lors de son départ du groupe, au titre d’une clause de non concurrence.
Mais ce qui fait la spécificité du cas Maurice Lévy, c’est sa rémunération variable. Plafonnée jusqu’ici à 2,7 millions d’euros (plafond atteint en 2010 et 2011), elle est en partie versée de manière différée depuis 2003, afin de la conditionner aux performances et à la fidélité du dirigeant. Une pratique louable, mais qui en tombant l’année de l’élection, pourrait lui coûter cher en impôt : le publicitaire doit toucher cette année neuf ans de bonus cumulés!
Une aubaine pour le PS
Après la publication du chiffre, le patron de Publicis a déclaré à Challenges : »Si j’avais reçu cette somme année après année et n’avait pas accepté le paiement différé, on n’en parlerait pas. » Peut-être, mais comme il recevra bien cette somme cette année, la nouvelle ne passe pas inaperçue, et sert le discours des socialistes, juste avant l’élection présidentielle.
« Moi qui avait fixé la barre à un million d’euros, sacrée différence ! » lance François Hollande qui rappelle qu’ »il y a quand même des inégalités qui ne sont pas supportables dans notre pays, qu’on ne peut pas accepter ».
Même ton côté syndicat : « A un moment donné il faut rétablir une fiscalité plus juste et il faut limiter les écarts de salaires dans les entreprises », déclare le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly.
Une nouvelle embarrassante pour la majorité
Côté majorité, c’est l’embarras. Valérie Pécresse, la ministre du Budget, bien obligée de reconnaître que cette rémunération est « disproportionnée », a tenté de rappeler l’action de Nicolas Sarkozy en la matière, tout en expliquant que cela relevait « des entreprises elles-mêmes ».
Le chef de l’Etat, qui avait promis de moraliser la classe dirigeante, s’est contenté lors de son mandat d’un code de conduite sans loi, rédigé par le Medef et… par l’Afep que dirige Maurice Lévy !
Valérie Pécresse a mis en avant les propositions de son candidat : Nicolas Sarkozy voudrait « moraliser encore davantage et rendre plus transparente la fixation des salaires des grands patrons ». Notamment grâce à la présence des salariés dans les comités de rémunération, ce que François Hollande propose également. Ou grâce au vote des rémunérations des patrons en assemblée générale des actionnaires. Ce qui fut déjà le cas pour Maurice Lévy…