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Petite réflexion sur l’anthropodiversité : race ou races ?

Publié le 30 mars 2012 par Sylvainrakotoarison

Petit épisode de la campagne présidentielle, le mot "race" a fait une furtive apparition dans l’actualité il y a deux semaines, peut-être pour disparaître définitivement. Petite réflexion personnelle sur le sujet.

yartiRace01On peut regretter des polémiques stériles mais se réjouir des prises de position intelligentes. Pourquoi faut-il ne penser qu’en binaire quand la multiplicité des sujets entraîne forcément une multiplicité des positions, des nuances ? Bref, la diversité des réflexions politiques.

Depuis vingt-cinq ans, je n’ai jamais hésité à exprimer mon accord sur certaines positions d’adversaires politiques comme je n’ai jamais hésité à exprimer mon désaccord sur certaines positions de personnalités politiques que je soutenais par ailleurs. C’est une simple liberté de penser que j’exerce, hors carcan, hors consignes. C’est aussi le privilège de l’électron libre.

Bravo donc à François Hollande d’avoir proposé le 11 mars 2012 de supprimer le mot "race" dans la Constitution : « Il n’y a pas de place dans la République pour la race. Je demanderai au lendemain de la présidentielle au Parlement de supprimer le mot race de notre Constitution. ».

Précisons juste que ce n’était pas vraiment une proposition socialiste, mais une réponse à l’initiative de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) qui a sorti pour l’élection présidentielle ses "50 propositions pour une France plus fraternelle" qu’elle a soumises aux dix candidats à l’élection présidentielle.

Selon son président Alain Jakubowicz, François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly sont également d’accord avec cette proposition de suppression. Bravo donc à ces candidats également de remettre en cause une formule qui sent trop la naphtaline.

Les circonstances ne sont jamais anodines : le candidat socialiste a profité d’un meeting consacré aux DOM-TOM à Paris pour faire cette annonce, à la grande joie du député socialiste de Guadeloupe, Victor Lurel, président du conseil régional de Guadeloupe, qui avait déposé une proposition de loi sur le sujet le 15 novembre 2004, texte qui fut repoussé. Ce n’est pas la première proposition de loi puisque le député communiste Michel Vaxès en avait déposé une similaire le 13 mars 2003.

Pour expliquer sa décision, François Hollande a indiqué : « La diversité, c’est le mouvement, c’est la vie. Diversité des parcours, des origines, des couleurs, mais pas diversité des races. La France est fière de toutes ses multiplicités. La France est fière de son métissage. (…) La France que j’aime est celle qui est capable de faire vivre tout le monde ensemble. ».

De quoi s’agit-il concrètement ?

Il s’agit de retirer un mot qui n’a plus la pertinence d’hier. Qui n’a aujourd’hui plus aucune légitimité conceptuelle.

Dans l’article 1er (essentiel) de la Constitution, il est en effet dit : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

Cet article laisse entendre clairement qu’il existe des citoyens de différentes origines, de différentes races et de différentes religions. Ce qui est normal en raison de la date de la rédaction.

Rappelons que "Tintin au Congo" ou même, plus anciennement, "Le Tour de France de deux enfants" étaient à l’image de leurs époques, où l’on pensait qu’il existait des races humaines.

La "race" dans l’arsenal juridique

Le mot "race" a été employé juridiquement pour la première fois sous Vichy, dans les lois du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941 pour classer la population française selon l’appartenance à la "race juive" : « Est regardé comme étant de race juive le grand-parent ayant appartenu à la religion juive. ».

Après la guerre, il a été utilisé pour prôner l’égalité. La Chartre européenne des droits fondamentaux dit ainsi dans son article 21-1 : « Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques. ». Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait toujours partie du bloc de constitutionnalité actuel, a repris le terme : « Le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. ».

Pascal Jean, professeur à l’IEP de Bordeaux, expliquait par ailleurs dans le journal "Libération" du 14 mars 2012 que les tribunaux français pouvaient aussi se référer à l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales où le mot "race" est également présent.
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Présent juridiquement mais sans raison scientifique

Pourtant, aujourd’hui, depuis quelques temps, les scientifiques savent bien qu’il n’y a pas plusieurs races humaines. Plus exactement, il n’y a qu’une seule race humaine, celle qui vit aujourd’hui sur Terre, de l’Alaska à l’Australie, de Chine à l’Afrique du Sud, du Kenya à la Pologne.

Il fut probablement vrai qu’il y a entre 25 000 et 40 000 ans (environ), il a dû y avoir deux races humaines, l’homme de Cro-Magnon (nous) et l’homme de Neandertal (qui a disparu et dont les conditions de disparition sont encore obscures).

Il ne s’agit pas d’un simple mot de vocabulaire. On pourrait utiliser un autre mot que cela ne changerait rien (comme "sous-espèce" par exemple). Il n’existe pas de catégorie définie et distincte entre les différents êtres humains vivants sur Terre. Sur Mars, je ne sais pas, mais sur Terre, c’est certain. Il n’y a qu’une seule communauté biologique qu’on peut appeler l’humanité, tout simplement.

Depuis que l’on sait décoder le génome humain, les choses sont devenues d’ailleurs assez claires, extrêmement rationnelles et donc plus faciles : il peut y avoir plus de différences dans le patrimoine génétique de deux personnes présentant la même couleur de peau (par exemple), que deux personnes ayant des couleurs de peau différentes.

Cela a l’air curieux mais c’est en fait totalement normal : la couleur de la peau ne provient que d’un pigment qui s’est développé tout simplement pour se protéger du soleil. Ce sont donc, au fil des générations, des caractères acquis par simple nécessité (d’ailleurs, combien certains cherchent ce bronzage sur des plages ou au cours de coûteuses et cancéreuses séances UV ?). Les personnes vivant dans des endroits peu ensoleillés avaient besoin de recevoir au maximum le rayonnement solaire alors qu’au contraire, celles qui vivaient dans les contrées très ensoleillées devaient s’en protéger.

Cet élément physiologique (couleur de la peau) a été pris historiquement comme une base complètement arbitraire (et désormais anachronique) pour classer les humains, les ranger dans des petits tiroirs, les mettre sous étiquettes.

On pourrait bien sûr évoquer d’autres éléments morphologiques qui n’ont pas plus de sens non plus pour se servir de critères à différenciation : la forme du nez, du menton, du front etc. n’est pas plus pertinente que la couleur de la peau, puisqu’il existe de tout sur cette planète.

Métissage universel

À ce constat purement scientifique qui se fonde sur une validation génétique incontestable (je le répète, la science n’est pas idéologique, elle observe simplement), il faut ajouter que les humains étant ce qu’ils sont, des êtres qui ne sont pas immobiles, la réalité veut que, de façon pacifique ou belliqueuse (les conquérants n’hésitant pas à violer les populations soumises), il y a eu obligatoirement des "mélanges" entre populations en tout temps, ce qui fait qu’au fil des siècles, des millénaires, il est complètement dérisoire de parler de catégories pures et donc encore plus stupide de vouloir faire de la "purification ethnique".

La simple expression "Français de souche" est donc complètement erronée et ne reflète au choix que l’ignorance (de l’état actuel de nos connaissances scientifiques) ou la bêtise (mêlée à la mauvaise foi pour conforter des idéologies scabreuses).

Anthropodiversité

D’ailleurs, une petite question : faut-il avoir peur du métissage ? La question n’est pas nouvelle car la réalité humaine fait que dans toutes les civilisations, depuis toujours, il y a eu métissages.

Effectivement, tous les être humains actuels sont le résultat parfois improbable de nombreux métissages. Tous ! Même ceux qui se croient "purs" !

Ceux qui ont peur du métissage ont peur avant tout qu’à terme, il n’y aurait plus de diversité. Cette crainte est non seulement respectable mais salutaire.

Salutaire car cela nécessite de réfléchir sur sa propre identité, sur ce qui est "soi" et "les autres". Ou, en d’autres termes, quels sont mes critères pour que Untel soit "des miens" et Tel Autre en soit exclu ? Jean-Marie Le Pen s’était ainsi donné un critère qui vaut ce qui vaut : un immigrant devient français de cœur (pas de papier) quand ses parents sont enterrés en France. Pourquoi pas ? Je crois qu’il y a mille critères différents pour parler au "cœur".

L’erreur, c’est que le métissage ne risque pas de produire une sorte de physionomie identique et unique sur la Terre entière mais au contraire des physionomies multiples, différentes à tel point que plus aucun être humain ne pourrait ressembler à un autre (hors vrais jumeaux). Le risque, ce n’est pas l’uniformité, mais au contraire (et ce n’est pas un risque, c’est une richesse), une explosion de la diversité. De l’anthropodiversité ! La diversité dans l'homogénéité génétique.

D’ailleurs, il faut bien assurer que ce brassage fut le germe de l’enrichissement continu de l’humanité, de son évolution. C’est l’altérité qui enrichit : au contraire du clonage qui reproduit exactement le même patrimoine génétique, plus le mélange génétique est diversifié, plus il en sort un patrimoine riche et évolué. Cela posait d’ailleurs un vrai problème pour les familles royales qui ne se regénéraient qu’entre cousins, entraînant à la longue des anomalies génétiques.

Études de diversité

Ce que je viens d’écrire a une autre conséquence : il est peu pertinent de vouloir faire des "études statistiques ethniques".

Pourquoi ? Parce qu’il est impossible de définir des critères de classification, ou alors, ils sont complètement arbitraires. C’est la raison pour laquelle ces enquêtes sont interdites ou strictement réglementées en France. Aux États-Unis, pays de la discrimination positive ("affirmative action"), ce sont les citoyens qui revendiquent une appartenance particulière à une communauté mais Barack Obama a su exprimer pendant sa première campagne son rejet de devoir choisir (discours de Philadelphie du 18 mars 2008).

Je m’étonne d’ailleurs, et regrette, que François Bayrou, partisan de la création d’un Ministère de l’Égalité, soit favorable à ce type d’enquêtes. Il l’a dit le 1er mars 2012 dans une interview à "Respect Mag" : « (…) Je n’ai jamais compris qu’on refuse les enquêtes sur la diversité. Il m’a fallu vingt ans pour comprendre les frustrations et les découragements de nos compatriotes dont la couleur de peau les rend "visibles". J’ai depuis compris que c’était un problème violent pour eux. Donc, je ne vois pas pourquoi on refuse les statistiques de cet ordre. ».

Pourquoi ? Parce que tout simplement le monde est bien plus complexe qu’un pays où il n’y aurait que des "Blancs" et des "Noirs". Il y a toute la diversité des couleurs de la peau, toutes les nuances, et je m’étonne donc que celui qui, à juste titre, fustige la bipolarisation qui simplifie à outrance la vie politique avec deux seuls camps, la droite et la gauche, n’ait pas senti que le monde compte cette diversité dans bien d’autres domaines que la politique. Il faut éviter de cataloguer les gens !

Cela ne nie pas les difficultés que peuvent ressentir certaines personnes mais il faut ramener la réflexion sur la base sacrée de notre démocratie française qui est le creuset républicain.

Le racisme, ce n’est pas seulement hiérarchiser les populations

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le racisme, ce n’est pas seulement le fait de croire que certaines catégories de la population soient supérieures ou inférieures à d’autres. C’est le fait même de classer les êtres humains dans des catégories complètement arbitraires qui est déjà du racisme.

C’est pourquoi je considère que des associations, comme le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), ne peuvent lutter efficacement contre le racisme quand leur objet, celui de différencier des supposés Noirs face à des supposés non-Noirs, alimente le principe même du racisme qui est de catégoriser, d’étiqueter, de mettre dans des tiroirs. On ne peut que sombrer dans la tentation de hiérarchisations si on commence à différencier des groupes humains.

Les critiques de la suppression du mot "race"

Certains pensent que la suppression ne serait que symbolique et ils ont raison puisqu’il est par exemple impossible de revenir dans le temps pour modifier le préambule d’une constitution qui a été déjà abrogée ou de modifier toutes les conventions internationales qui emploient aussi ce mot. Cependant, la Constitution est notre loi fondamentale et a été déjà amendées plusieurs dizaines de fois. Ce n’est donc pas un exercice impossible ni périlleux.

En revanche, ceux qui pensent que ce mot doit rester parce qu’il faut bien prendre en compte ceux qui croient en l’existence des races humaines n’ont pas raison parce que le but de l’État est aussi d’éclairer les citoyens et pas de les maintenir dans un obscurantisme désuet.

Notons d’ailleurs que, par simple répartie électoraliste, Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à ironiser sur cette proposition de manière un peu facile et simpliste. Le 14 mars 2012 sur Europe 1, il a en effet considéré : « Le ridicule dépasse les bornes. » pour rappeler : « Le mot race est dans le préambule de la Constitution de 1946, qui est un texte sacré, (…) rédigé par des résistants, les gens sortis de la guerre et qui ont dit "plus jamais on ne veut de racisme". (…) Le jour où on aura supprimé le mot racisme, est-ce qu’on aura supprimé l’idée ? Enfin, c’est absurde ! (…) Le problème n’est pas le mot, le problème, c’est la réalité. ».

Pourtant, parfois, les mots enflamment les passions et aboutissent à de tristes réalités. Comme dit plus tôt, les constituants de 1946, honorables résistants, ne pouvaient avoir à l’esprit les connaissances en génétique de plusieurs décennies ultérieures.

Supprimer le mot pour convertir les esprits

Que la Constitution puisse ainsi continuer à persévérer dans son anachronisme, bien sûr compréhensible d’un point de vue historique, me paraît donc regrettable.

Alors, je suis évidemment heureux que certains candidats à l’élection présidentielle, dont le favori, se soient prononcé très clairement pour la suppression constitutionnelle de l’évocation même de "race".

Bien sûr, et tout le monde en convient, cela ne fera pas disparaître le racisme, et cela ne sera pas suffisant pour faire régresser les actes racistes,. Il faut évidemment maintenir toute la législation pour réprimer les crimes et délits racistes, mais cela donnera une meilleure assise intellectuelle et juridique à tous ceux qui veulent lutter contre les discriminations.

Et les seules différences qui vaillent, qui méritent qu’on y accorde solidarité nationale et cohésion sociale, ce sont avant tout les différences sociales et culturelles. Pas les différences qu’il n’est pas possible de définir objectivement et sans arbitraire.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 mars 2012)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Comité Veil sur la discrimination positive.
Grenoble et les valeurs républicaines.
ADN, pour ou contre ?
Être vivant sur Terre.
Neandertal : la rousseur qui fait tout.
Neandertal : parmi nos aïeuls ?
La loi Hortefeux et les fichiers ethniques.
Invalidation constitutionnelle des études ethniques.
Discrimination rampante.
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