Conte Japonais : le rêve vendu

Publié le 30 mars 2012 par Unpeudetao

Youkitchi et Mosouké étaient d’excellents amis. Youkitchi était un garçon joyeux, presque frivole, Mosouké par contre était sérieux et fort prudent. Tout différents qu’ils étaient, ils s’aimaient tant que si l’un devait entreprendre un voyage d’affaires -en effet, ils étaient marchands- il attendait toujours que l’autre puisse se joindre à lui.

Ainsi, une fois de plus, ils faisaient route ensemble. La journée avait été chaude et ils furent heureux d’arriver au bord d’une forêt et de pouvoir s’étendre à l’ombre d’un pin.
Au bout d’un moment, Youkitchi était profondément endormi.
Mosouké regardait le dormeur et, en soupirant, se disait :
“Il dort tranquillement ici, dans la nature, comme s’il était dans la maison. Je ne le pourrais pas, moi, j’aurais peur de me faire voler. Et pourtant, un petit somme serait le bienvenu. Mais malheureusement, je ne peux pas m’endormir dehors.”
Pendant que Mosouké faisait ces réflexions, il vit tout à coup une guêpe sortir de la narine gauche de son ami. Il la regarda avec étonnement. Elle s’envola vers un haut pin solitaire campé sur un rocher, tourna trois fois autour de l’arbre, puis revint vers Youkitchi et disparut dans sa narine droite.
Mosouké n’avait jamais vu chose aussi étrange.

A cet instant, Youkitchi s’éveilla, s’assit en riant et dit :
“Mosouké, je viens de faire un rêve merveilleux. Il faut que je te le raconte. Figure-toi qu’il y avait un haut pin campé sur un rocher élevé, oui, exactement comme celui que tu vois là-bas ; une guêpe tournait autour du tronc en bourdonnant :
- tu dois creuser à cet endroit, tu dois creuser à cet endroit !
Et effectivement je me suis mis à creuser et j’ai trouvé un grand pot plein de pièces d’or. De ma vie je n’ai vu tant d’argent, sauf dans mes rêves !”
“Vraiment c’est un rêve étrange” répondit Mosouké, “A ta place j’irais creuser autour de ce pin là-haut.”
“Mais qu’est-ce qui te prends, je ne vais pas aller me fatiguer par une telle chaleur simplement à cause d’un rêve stupide. Continuons plutôt notre route pour arriver à temps en ville.”

Mais Mosouké ne voulait rien entendre :
“un tel rêve a sûrement un sens. Si tu ne veux pas creuser, moi je veux bien essayer. Sais-tu ce que je te propose :
vends-moi ton rêve.”
Youkitchi éclata de rire :
“Voilà une bonne affaire pour moi qui n’ai jamais vendu de rêve. Que m’offres-tu ?”
“Tu as dit qu’il y avait là un grand tas de pièces d’or. Je ne sais pas vraiment ; je suis ton ami et je ne veux pas te léser. Dis-moi toi-même à combien tu estimes ton rêve.”
Après une courte discussion, ils se mirent d’accord sur la somme. Et Mosouké acheta le rêve pour trois cent pièces d’argent.
“Jamais je n’ai fait une telle affaire. Tant d’argent pour un simple rêve,” dit Youkitchi en riant. “Mais maintenant, dépêchons-nous, sans quoi nous serons en retard pour le marché”.

Les amis avaient parlé à haute voix car ils se croyaient seuls. Ils ne pouvaient pas deviner que l’avare Katchiémon avait surpris leur conversation. Lui aussi faisait route vers la ville et s’était reposé à la lisière de la forêt. Il s’était endormi mais les voix des deux marchands l’avaient réveillé. Maintenant il eut un rire mauvais :
“Que voilà d’honnêtes gens, acheter un rêve. Heureusement qu’ils ont parlé fort. Grâce à eux, je sais où est enterré le trésor et je l’aurai pour rien.”
Katchiémon renonça à aller au marché et grimpa rapidement sur le rocher. Il creusa entre les racines du pin jusqu’à ce qu’il trouvât quelque chose de dur.
Il continua à creuser avec précaution et finit par sortir de terre un grand pot ventru rempli de pièces d’or.
Katchiémon brisa le pot et mit les pièces d’or dans le grand sac qui ne le quittait jamais.
Arrivé à la ville, il acheta pour tout cet argent une auberge et il devint un homme riche. Mais cet or ne lui porta pas bonheur.
Au bout de quelque temps, il perdit non seulement l’or qu’il avait trouvé mais également tout ce qu’il avait possédé auparavant. Bientôt il fut mendiant.

Lorsque, à la ville, Mosouké eut terminé ses affaires, il quitta Youkitchi et s’en retourna à l’endroit où il avait acheté le rêve.
Quelle ne fut pas sa déception lorsqu’il vit que les racines du pin étaient dénudées et que les tessons du pot gisaient tout autour.
“Quelqu’un a pris les devants et a déterré le trésor,” se dit-il avec tristesse. Et il regarda les tessons.
Tout à coup il tomba en arrêt car sur l’un d’eux il avait découvert une inscription. Il la déchiffra à haute voix :
“Le premier des septs.”
“Le premier des septs, cela veut dire qu’il doit y avoir encore six autres pots sous terre,” se dit-il et il commença à creuser avec énergie. Et en effet il trouva, l’un après l’autre, six pots de terre, chacun rempli de pièces d’or jusqu’à ras bord.

Mosouké se fit construire en ville une grande auberge qu’il appela “Au pot ventru”. Il y vécut riche et satisfait jusqu’au jour de sa mort.
Youkitchi venait souvent lui rendre visite et il saluait son ami par ces mots :
“Alors Mosouké, comment vas-tu ? Je suis venu voir ce que devient mon rêve.”
Et les deux compères se tapaient dans le dos en riant et à chaque fois Mosouké servait à son ami le meilleur des sakés dans le plus ventru de ses pots.

M. Novak et Z. Cerna.

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