Au singulier, le Papotin est un journal, édité depuis vingt ans par des jeunes qui se revendiquent atypiques, refusant la notion d’autisme. Au pluriel, les Papotins sont l’adaptation théâtrale des textes du magazine autour de six « journées » construites selon un rituel immuable par Eric Petitjean.
Le metteur en scène est tombé amoureux direct de la poésie et de la drôlerie de ces gens qui ne comprennent pas nos codes sociaux et qui n’ont accès ni aux symboles ni aux métaphores. Ils ne connaissent pas le second degré. Si on leur dit qu’on a un chat dans la gorge ils vont s’attendre à ce qu’on le crache.
Leur questionnement remet en cause notre langage. Certains sont obligés d’inventer des termes pour se faire comprendre. Celui qui adore Hugues Aufray le trouve « géniaux », parce qu’il est génial, génial et génial.
Ils n’ont aucun problème d’ego, pouvant discuter avec le président de la république, les artistes, vous et moi avec le même naturel. Ce sont les seules personnes qui sont capables de rester constamment eux-mêmes. Du coup ils posent les bonnes questions et se permettent des suggestions personnelles. Comme par exemple, de préconiser de changer la date du Tour de France au motif qu’il fait trop chaud en juillet.
Éric a créé quatre personnages qui sont juste là, face à nous, face au monde, face à un écran qui est aussi bien la télévision que l’ordinateur ou le cinéma et qui produit des cadres. Parfois ils s’y inscrivent. Parfois ils en sortent. Armand, Nathanaël, Thomas entrent en scène, se disent bonjour, prennent place sur un banc, dos au public. Carole arrive plus tard, pestant contre la galère des transports en commun.
Le spectacle alterne les digressions avec les interviews. Sans tabou, le premier est capable d’interroger Claude Allègre sur la solitude, un autre demandera à Ségolène Royal l’adresse du coiffeur qui lui a coupé les cheveux (un « petit » rue de Rennes), un troisième discutera de l’opportunité du vouvoiement avec Jacques Chirac, et le dernier estimera que le nouveau testament est bourré de contradictions.
Nathanaël a l’obsession de la démonstration. C’est soit … soit … Parce que de un, de deux, et de trois. Qu’il s’agisse de l’art de la conversation, de l’éducation, des sentiments, tout obéit à la même structure.
La musique joue un rôle essentiel, apportant en quelque sorte d'autres couleurs et rappelant que le temps passe. Au début de la pièce les sons se brouillent alors que l’écran devient un damier de couleurs. Chacun ses références, certains penseront à Mondrian, d’autres à Jean-Christophe Averti. C’est que « on n’est tous pas pareils », n’est-ce pas ?
On entendra Arthur H chanter l’Amoureux (album Adieu tristesse, 2005) : j’aime les idiots, les boxeurs, les voitures, les aéroports …NTM nous rappelle que les temps changent, que son cœur n’est plus à l’indulgence (album Sous les bombes). Alain Souchon préconise de pas s’en faire (S’asseoir par terre, 1976). Tom Jones célèbre the lady, celle qui est une winner (une gagnante) parce que c’est la sienne. Nina Simone n’a rien, rien du tout, sauf une chose, la liberté (Ain’t Got no / I got life).
Pour ceux qui apprécient le classique il y a le délicat concerto pour piano et orchestre n°5 en fa mineur de Bach. Et, pour passer d’un jour à l’autre, un intermède de Rubin Steiner nommé Guitarlandia.
On aura aussi la démonstration que tout est affaire de point de vue en expérimentant la présence de notre tache de Mariotte, qui est le point aveugle de la rétine d’où part le nerf optique.
Un spectacle profond, sensible, également distrayant qui aide à voir les choses autrement. Qui s'inscrit incroyablement dans l'air du temps puisqu'une campagne de communication radio revendique une vie "normale" pour les autismes sur les ondes en ce moment. Parce que la tendresse sauve le jour … comme ils disent.
Les Papotins ou la tache de Mariotte d’après le journal Le Papotin, adaptation et mise en scène Éric Petitjean, avec Silvia Cordonnier, Philippe Frécon, Christian Mazzuchini, Philippe Richard
Du 8 mars au 7 avril 2012, salle Copi du Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 16 h 30.
Photo Antonia Bozzi
Lien vers le Journal le Papotin ici