Du libre au juste échange, c'est-à-dire au protectionnisme masqué

Publié le 29 mars 2012 par Francisrichard @francisrichard

En période de crise le libre-échange n'a pas bonne presse. Le protectionnisme [la photo provient d'ici] reprend des couleurs.

Le protectionnisme est pourtant une illusion d'optique. On voit la protection, on ne voit pas les chaînes.

Le protectionnisme est démagogique. Pour certains candidats à la présidentielle française il est la panacée, recommandée par des médias hexagonaux, de droite comme de gauche, pour, dit-on, faire face  à la crise.

Les médias suisses ne font pas exception, oubliant que la prospérité helvétique, dans bien des domaines, est due aux bienfaits de la liberté de ses échanges avec nombre de pays. Dans ce contexte de liberté, le franc fort ne s'est d'ailleurs pas révélé catastrophique pour la Suisse comme le prophétisaient des Cassandre. Il a plutôt servi d'aiguillon, qui l'a obligée à s'adapter.  

 

L'Hebdo, qui exerce un monopole hebdomadaire de fait dans la presse suisse romande et pour qui les tendances interventionnistes n'ont rien d'étranger, consacrait la semaine dernière pas moins de six pleines pages à justifier une dose de protectionnisme "pour rétablir des équilibres sociaux et environnementaux".

Dans un premier article, Philippe Le Bé la justifiait en six points :

1 Dans le monde, le protectionnisme est à la hausse : c'est tendance... 

2 Limiter le libre-échange, officiellement, c'est mal : c'est ce qu'on dit...

3 Nuire aux importations peut nuire aux exportations : on veut le beurre et l'argent du beurre...

4 Une dose de protectionnisme est parfois nécessaire : on est pour le libre échange avec modération... quand ça arrange...

5 Mesurer les normes environnementales, ce n'est pas simple : la nature est complexe...

6 Vers un "autoprotectionnisme intellectuel" : c'est une question de rééducation que de n'acheter que local ...

Dans le point 3, le journaliste de l'hebdomadaire romand nous faisait part de l'approche de l'économiste Jacques Sapir. Ce dernier justifie une dose de protectionnisme par la concurrence déloyale que feraient aux pays développés les pays où les rémunérations et la protection sociale sont basses.

Dans le point 5, il cite Adèle Thorens, conseillère nationale du parti des Verts : "S'il existait des règles au niveau mondial qui, dans la fixation du prix des marchandises, prenaient en compte les coûts sociaux et environnementaux, le protectionnisme que je n'apprécie guère serait inutile." (elle l'apprécie quand même un peu...).

Dans le point 6, il cite de nouveau Jacques Sapir, partisan d'"un juste échange". Selon ce dernier l'OMC , l'Organisation mondiale du commerce, devrait définir "de nouvelles normes adaptées à la productivité des pays ainsi qu'à leurs différentes branches de production". Il évoque la proposition de Robin Cornelius de rendre le consommateur responsable de ses achats en l'orientant dans ses choix par une sorte de sceau d'infamie qui serait apposé sur les produits à ne pas acheter à tel moment, ou pour telle raison.

Dans un deuxième article Philippe Le Bé recueille des propos de Pascal Lamy, qui est justement le directeur général actuel de l'OMC. Ce dernier dit fort justement : "Davantage d'échanges entraînent davantage d'efficience. Chacun produit ce qu'il produit le mieux et achète chez d'autres ce qu'il produit le moins bien."

Mais, inconséquent, il ajoute que si les marchés intègrent dans les prix le coût des atteintes à l'environnement, ils fonctionnent correctement, sinon qu'il faut les réglementer. Il s'enorgueillit des règles édictées par l'OMC qui permettent de dresser des barrières techniques pour restreindre les échanges, des mesures antidumping ou des clauses de sauvegarde qu'instrumentalise l'organisation mondialiste qu'il dirige.

Dans ces deux articles pas un mot pour dire sur quel principe se fonde le libre échange, pas un mot pour remettre en cause le modèle social des Etats-Providence, qui les entraîne pourtant toujours plus vers le fond, sans qu'il ne soit besoin de concurrence déloyale pour ce faire, pas un mot pour souligner le rôle néfaste des Etats ou des organisations internationales, dont les interventions sont à l'origine des dysfonctionnements.

"L'ECHANGE est un droit naturel comme la PROPRIETE" écrivait Frédéric Bastiat.

C'est pourquoi l'échange doit être aussi libre que doit être libre la disposition de ses biens au sens large, dans la mesure, bien sûr, où l'échange n'est pas utilisé contre l'ordre public ou les bonnes moeurs. L'empêcher de se faire librement, d'une manière ou d'une autre, par exemple en le taxant ou en imposant des normes, est, sous prétexte de protection, une spoliation, laquelle ne peut être que la manifestation d'une tyrannie.

Dans une tyrannie, qui peut prendre bien des formes, certains, protégés, sont favorisés aux dépens d'autres qui sont spoliés. A l'échelle internationale, on empêche, par exemple, des pays de se développer sous prétexte que ce sont des concurrents déloyaux, alors qu'ils ne font qu'utiliser les moyens à leur disposition, comme l'ont fait avant eux les pays dits développés, et, pour se donner bonne conscience, ces seconds pays accordent des aides aux premiers...

Face à des produits fabriqués dans des pays où les rémunérations et la protection sociale sont basses, les pays développés pourraient très bien rester compétitifs dans beaucoup de domaines, grâce à leur productivité très nettement supérieure, si les coûts de ces Etats-Providence n'étaient pas plombés par une protection sociale disproportionnée, laquelle n'encourage ni à la combativité, ni à la créativité, ni à l'innovation.

Dans d'autres domaines, ce que dit Pascal Lamy (voir plus haut) est frappé au coin du bon sens. Il faut faire ce que l'on sait bien faire et laisser faire par d'autres ce qu'ils savent mieux faire. Quand l'Etat intervient pour protéger un producteur national, il ne rend service à personne. Son intervention n'est utile que momentanément au producteur, et elle ne l'est de toute façon pas au consommateur qui aurait pu faire autre chose avec la différence de prix en payant moins cher son produit importé.

Les sociaux-démocrates, c'est-à-dire les socialistes convertis tardivement au marché, après les multiples et douloureuses expériences du XXe siècle, n'en ont pas compris le fonctionnement. Pour eux le marché doit tendre à la perfection. Comme il est imparfait, il suffirait, selon eux, de lui apporter des corrections, de le réglementer pour qu'il atteigne les buts définis par eux dans leur grande sagesse.

Or le marché n'a pas de buts déterminés. Il est certes imparfait, mais, quand il est vraiment libre, il émet des signaux qui permettent à ses acteurs de progressivement en tirer le meilleur parti après s'être parfois trompés. Les échecs sont d'une manière générale plus instructifs que les succès. Ils incitent à ne pas recommencer.

Les interventions des Etats, opérées à leur tête par des personnes qui se croient omniscientes, ont des effets la plupart du temps opposés aux buts recherchés par eux. L'échec patent des politiques étatiques de relance, qui se sont traduites par un accroissement des dettes publiques, vient d'en apporter une enième confirmation.

Il n'existe donc pas de juste échange qui serait une troisième voie entre le libre échange et le protectionnisme. Le juste échange n'est qu'un protectionnisme qui avance masqué. Il existe, par contre, une dynamique de la liberté qui a fait ses preuves, tandis que les politiques étatistes entravent et conduisent à la paupérisation.

Francis Richard