Colombie: Réveil d’une terre sanglante

Publié le 29 mars 2012 par Rene Lanouille

les plaines du Meta Enveloppé d’une épaisse soutane blanche, le père Henry chante joyeusement. Malgré les fausses notes, la petite assemblée réunie devant lui reprend avec enthousiasme les paroles. Suant à grosses goutes, l’ecclésiastique martèle le rythme tel un chef d’orchestre sentencieux. Le rythme du combat social que mène depuis des années la communauté d’El Castillo.

Une région prolifique dans laquelle fleurit la guerre

Logé au pied de la cordillère orientale, le village d’El Castillo fait face aux immenses plaines torrides du Meta. Une région riche et fertile. On y trouve des émeraudes, du pétrole, de l’or. Le bétail s’y engraisse et le palmier à huile y pousse abondamment. Une région tellement prolifique que les acteurs armés y fleurissent également.
“Depuis 1980, cette région est violemment frappée par la guerre”, souffle le père Henry, se débarrassant de sa toge. “A l’origine, c’était un combat idéologique entre les guérillas et l’armée. Mais c’est très vite devenu une lutte territoriale.”
Dès le milieu des années 80, en réponse aux extorsions des guérillas, les propriétaires terriens du Meta impulsent la création de groupes paramilitaires. Peu à peu, ces groupes se lient intimement à l’armée et secondent les opérations antiguérilla. Ils coordonnent également les actions contre les civils à la solde d’exploitants avides de terres.

“Ils viennent trancher les têtes”

Coiffé d’un antique panama noirci, Luis caresse calmement sa fine moustache blanche. “En 30 ans, plus de 200 d’entre nous ont été assassinés…par l’armée et par les paramilitaires.” Assi à proximité, Juan décrit amèrement les liens étroits entre ces deux groupes : “les militaires entraient dans le village et nous disaient : « n’ayez pas peur de nous, mais de ceux qui arrivent derrière. Eux viennent trancher les têtes. »”
A partir de 2002, le gouvernement d’Alvaro Uribe lance l’operación conquista. Une vaste campagne militaire afin de reprendre les territoires contrôlés par les guérillas. Juan réfute cette version d’une volée dans le vide : “un prétexte pour s’emparer de nos terres. Ils étaient tous au service des grands propriétaires et des éleveurs.” Pendant cette période, de nombreux syndicalistes et leaders communaux disparaissent. Puis surgissent comme guérilleros morts au combat. Luis fulmine à son tour : “ils se débarrassaient de nos leaders pour nous effrayer. Pour qu’on parte volontairement.”
Une méthode très efficace. Fin 2004, les sept cents familles d’El Castillo s’étaient toutes enfuies. Jusqu’aux lointaines fermes isolées dans les montagnes. “La plupart sont partis à Villavicencio,” commente le père Henry, un vague geste vers le nord. “Les terres ? Certaines sont exploitées par des grands propriétaires, mais la majorité ont été laissées à l’abandon.”

La création d’un rêve

Suspendu aux poutres de la maison populaire d’El Castillo, le portrait tragique de Reinaldo Perdomo s’agite au gré d’une brise brûlante. Mariela le dévisage tendrement : “mon beau-frère a été assassiné à Villavicencio le 12 août 2003 par les paramilitaires. Il s’est battu pour que nous puissions revenir sur nos terres et construire une communauté de paix.” Elle esquisse un léger sourire : “son rêve s’est quand même réalisé.”
On fête aujourd’hui les six ans de la création de ce rêve. En 2006, alors que les paramilitaires se démobilisent massivement, 18 familles partent de Villavicencio et se réinstallent sur leurs terres. Le 24 mars, elles créent une zone humanitaire. Un espace protégé par la commission interaméricaine des Droits de l’Homme et interdit d’accès aux acteurs armés.
Bien que les propriétaires terriens s’irritent du retour décisif de la communauté d’EL Castillo, le père Henry se montre optimiste : “avec l’appui de plusieurs organisations, nous arrivons à négocier avec les grands exploitants. Et petit à petit les familles récupèrent leurs terres laissées à abandon.”
Cependant, de nombreuses entreprises et multinationales ont également les yeux rivés sur ces terres prospères. Le rythme du combat social risque de résonner encore longtemps dans les plaines ardentes du Meta. Timothée L'Angevin