Par Éric Favereau
Empowerment… Voilà un mot anglo-saxon que l’on ne sait trop comment traduire dans l’univers médical : «responsabilisation», «donner le pouvoir», voire «permettre à» ? En matière de lutte contre le sida, l’idée d’empowerment a été utilisée pour les femmes africaines : il s’agissait de mettre au point des stratégies de prévention qui leur donnent les moyens de se défendre, qu’elles aient le pouvoir de dire oui ou non à leur mari. En cancérologie aussi, cette notion a été très utile pour aider à ce que le malade arrive à garder un peu de liberté face à la puissance de la prise en charge médicale. Et voilà que, depuis peu, ce mot est utilisé en psychiatrie. Un livre, recueil de recherches, vient de sortir sur ce thème. Son titre est limpide : Pour des usagers de la psychiatrie acteurs de leur propre vie (1).
Ce livre dérange, car il s’attaque à une certaine approche fataliste de la maladie mentale. Il commence par un long témoignage, celui de Debra, jeune femme qui vit en Nouvelle-Zélande et qui depuis son enfance entend des voix. «Quand j’ai terminé ma scolarité,raconte-t-elle,elles sont devenues plus fréquentes, plus intenses, et elles ont fini par prendre le contrôle. On m’a placée dans un hôpital psychiatrique, je suis devenue malade mentale. L’hôpital a été mon nouveau monde, et mes voix, ma famille… Pendant le temps que j’ai passé [en institut], personne ne m’a demandé ce que racontaient les voix. Les traitements, tout en ayant pour effet de m’affaiblir, ne les ont jamais modérées.» Puis elle fait part de son travail sur ces satanées voix : les maîtriser, les déplacer, mais aussi les utiliser. «Elles m’avaient tant absorbée que je n’avais eu du temps pour personne d’autre. Prudemment, maladroitement, je me suis attachée à inviter de vraies personnes dans mon monde.» Plus tard, elle en a fait sa force au point de travailler dans la santé mentale.
C’est là toute l’idée de cet empowerment : se servir de l’expérience du malade plutôt que de s’appuyer sur la seule compétence des soignants. Comme le dit Tim Greacen, qui dirige le laboratoire de recherche à l’hôpital psychiatrique Maison Blanche et coordonne cet ouvrage, c’est un changement de paradigme : «Il faut envisager l’usager comme moteur de sa vie, au sein d’une collectivité dans laquelle il est citoyen à part entière. Les services de santé mentale [doivent être] configurés de manière à soutenir son autonomie plutôt que de perpétuer son rôle traditionnel de “patient”.»
http://www.liberation.fr/societe/01012398712-en-psychiatrie-aussi-il-faut-avoir-cure-du-patient
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