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Le Triomphe de l’Amour sur tous les dieux, 1752.
Huile sur toile, 97 x 129 cm, Rouen, Musée des Beaux-Arts.
Les lecteurs qui me font l’honneur de suivre les publications de Passée des arts savent la distance que j’entretiens avec le domaine lyrique et le recul avec lequel j’accueille les récitals d’airs qui pullulent aujourd’hui et dont beaucoup ne présentent pas même un intérêt documentaire, puisqu’ils se cantonnent à seriner les mêmes airs usés jusqu’à la corde d’une poignée de compositeurs. Heureusement, à l’instar des trois volumes de Tragédiennes portés par Véronique Gens et Christophe Rousset (Virgin), certains projets viennent démentir ce triste constat. C’est le cas d’une nouvelle parution réunissant aujourd’hui, pour Naïve, Sandrine Piau et Les Paladins sous la direction de Jérôme Correas et intitulée Le Triomphe de l’amour.
D’Acis et Galatée de Jean-Baptiste Lully (1686) à Renaud, ou la suite d’Armide d’Antonio Sacchini (1783), bornes choisies pour ce programme, les évolutions intervenues, en France, dans le domaine de l’opéra, ce terme devant être compris dans son acception la plus large afin d’y intégrer la tragédie biblique de Marc-Antoine Charpentier, David et Jonathas, d’ailleurs qualifiée par ce mot dans le compte rendu qu’en fit Le Mercure Galant à la suite de sa création en 1688
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Sans trop entrer dans des détails qui dépasseraient le cadre de cette chronique, mais illustrent néanmoins bien les évolutions du genre lyrique, on peut établir des parallèles avec celles intervenues dans le domaine de la peinture. Ainsi, les élans contradictoires de Galatée dans l’extrait de la pastorale Acis et Galatée de Lully semblent constituer une parfaite illustration des réflexions d’un Le Brun sur les passions tandis que le bouleversant air « A-t-on jamais souffert une plus rude peine » tiré du David et Jonathas de Charpentier possède la noblesse de ses compositions, alors que l’arioso « Espoir des malheureux » de l’Idoménée de Campra (1712) offre une touche plus adoucie qui n’est pas sans évoquer Jean-François de Troy.
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Placé sous le signe de doubles retrouvailles, celles de Sandrine Piau et de Jérôme Correas (photographie ci-dessous), deux artistes ayant fait ensemble une partie de leurs études musicales, mais aussi celles de la soprano avec le répertoire qui lui a permis d’effectuer la carrière que l’on sait, cet enregistrement se devait d’être un moment d’exception. À mon avis, il l’est, et ce pour plusieurs raisons. Le programme est, tout d’abord, construit avec beaucoup de pertinence, car non seulement la disposition des différents airs permet d’obtenir une belle variété de climats rehaussée de pauses instrumentales bienvenues, mais surtout les extraits ont été choisis avec un goût très sûr, alternant le connu et le délaissé en offrant toujours une musique de très bonne facture. La façon dont Sandrine Piau s’en empare est, ensuite, assez ébouriffante et pas uniquement du strict point de vue d’une technique vocale qui apparaît ici particulièrement affûtée et permet à la soprano de se rire des difficultés que Grétry ou Rameau ont semées dans leurs partitions tout en préservant au maximum l’intelligibilité du texte.
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Sandrine Piau, soprano
Les Paladins
Jérôme Correas, direction
1 CD [durée totale : 60’57”] Naïve OP 30532. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Campra, Idoménée (1712) :
Acte IV, scène 1 : « Espoir des malheureux » (Ilione)
2. Favart, La Bohémienne (1755) :
Acte II, scène 7 : « Pauvre Nise ! » (Nise)
3. Sacchini, Renaud (1783) :
Acte III, scène 10 : « Que l’éclat de la victoire se répande sur vos jours » (Coryphée)
Des extraits de chaque plage peuvent être écoutés ici.
Illustrations complémentaires :
Joseph-Marie Vien (Montpellier, 1716-Paris, 1809), Jeunes Grecques parant de fleurs l’Amour endormi, 1773. Huile sur toile, 335 x 194 cm, Paris, Musée du Louvre (cliché © RMN-GP/D. Arnaudet).
Joseph-Marie Vien, Amant couronnant sa maîtresse, 1773. Huile sur toile, 335 x 202 cm, Paris, Musée du Louvre (cliché © RMN-GP/A. Dequier-M. Bard).
Ces deux œuvres font partie d’un ensemble de quatre, commandé par Madame du Barry pour son pavillon de Louveciennes et destiné à remplacer quatre tableaux de Fragonard.
La photographie de Jérôme Corréas et Sandrine Piau est de Jean-Baptiste Millot pour Qobuz.com