Même si l’on écarte les solutions étranges à base de consumétisme débridé qui gênent un développement synaptogénétique harmonieux chez l’enfant scolarisé, n’est-il pas temps de se poser des questions sur les méthodes d’enseignement qui permettront de produire des générations d’élèves heureux, bondissants et au poil soyeux ? En tout cas, c’est la petite affaire du moment : doit-on donner aux enfants des devoirs à faire le soir ?
Que voilà une question intéressante !
Elle est posée dans une petite série d’articles de notre presse que le monde entier nous envie, ainsi que dans l’un de ces reportages télévisuels dont France Télévisure a le secret, où l’on découvre, effarés, que les parents de certains enfants n’hésitent pas à sacrifier plusieurs dizaines de minutes pour — comme il est dit — « s’improviser enseignant ».
En substance, la FCPE, Fédération des Conseils de Parents d’Élèves (au passage, notez que « conseil » se dit « soviet », en russe), vient de lancer un site dédié à la terrible question des devoirs scolaires à la maison : doit-on continuer à imposer aux élèves une telle corvée ?
D’après la Fédération, il semble en effet pourtant évident qu’aucune preuve n’existe que ces devoirs permettent aux enfants de mieux apprendre. Et surtout — et c’est la principale motivation de l’appel — ces devoirs du soir introduisent une scandaleuse inégalité entre les élèves. Comme l’explique Jean-Jacques Azan, le vibrant président de la Fédération des Soviets Conseils :
« La réussite scolaire, c’est en classe qu’elle se joue et c’est vers la classe qu’il faut la renvoyer. Parce que si on la renvoie simplement sur l’élève et sa famille, on est là dans un schéma de reproduction voire d’aggravation très importante des inégalités scolaires et sociales. »
Voilà voilà : les devoirs à la maison, ça ne permet pas aux moutards d’apprendre, et surtout, ça aggrave les inégalités scolaires et sociales. Si ça, c’est pas de l’abomination anti-républicaine en barre, je ne sais pas ce que c’est. Évidemment, ça mérite largement une volée de bisous citoyens et conscientisés.
Cependant, avant d’aller signer fébrilement l’inévitable pétition accrochée à leurs revendications sociales, quelques questions doivent être posées. Ainsi, un règlement (de 1956) interdit normalement les devoirs à la maison pour les élèves du primaires. Pourtant, la pratique continue (argh !). À croire que les enseignants n’en font décidément qu’à leur tête !
Et si, en réalité, ces devoirs n’étaient pas justement réclamés à cors et à cris par … les parents eux-mêmes (ou, au moins, par une majorité d’entre eux) ? Si tel est le cas, plutôt que s’interroger sur la pertinence des devoirs pour les élèves, il devient fort instructif de savoir pourquoi ces parents réclament ainsi des devoirs pour leurs enfants.
Ici, bien sûr, on peut se lancer dans des hypothèses diverses et variées, mais l’une d’elles semble tenir la route : et si les parents, au travers des devoirs, avaient ainsi un moyen simple d’évaluer les connaissances acquises par leurs enfants ? Et si, avec ces devoirs, ce n’était pas tant la capacité d’apprentissage de l’élève qui était testée que la capacité de l’enseignement (républicain, laïque, égalitaire et que le monde nous envie) à fournir des éléments concrets d’appréciation des progrès de l’enfant dans son apprentissage ? Et au-delà, le moment que le parent passe avec son enfant à l’encadrer dans ses devoirs n’est-il pas aussi un moment privilégié nécessaire dans la famille ?
Autrement dit, si une partie non négligeable des parents insiste pour ces devoirs, c’est peut-être parce qu’ainsi, cela leur permet à la fois de connaître la qualité du service d’instruction dispensé (après tout, vu les impôts payés, un petit check up semble nécessaire), et aussi, de trouver une raison solide pour dialoguer et accompagner son enfant dans son apprentissage ? N’oublierait-on pas un peu vite que pendant des millénaires, c’est ainsi que les enfants ont appris ?
Inversement, ce désir affiché de supprimer ainsi les devoirs à la maison ne cache-t-il pas le besoin, très « républicain », de bien séparer ce qui est de la sphère publique (l’État apprend à vos enfants ce qu’ils doivent savoir) de ce qui est de la sphère privée ? Si, maintenant, les parents commencent à instruire leurs enfants sans tenir compte des canons de l’Éducation Nationale, où va-t-on, ma brave dame ?
Où va-t-on ?
Eh bien justement. Il est plus que temps d’y penser très sérieusement.
L’éducation telle qu’elle est actuellement dispensée, ou plutôt distribuée, standardisée dans l’école actuelle, sous sa forme industrielle, avec des élèves en batterie chargés d’apprendre (éventuellement par cœur) des éléments de savoir suivant un programme décidé unilatéralement et avec une clairvoyance tous les jours plus évidente, cette éducation-là est-elle vraiment adaptée à ce qui attend les élèves ensuite ?
Vu le nombre de chômeurs, d’analphabètes ou d’abandonnés du système scolaire, on peut se poser la question. Et si l’on y ajoute les expériences complètement fumeuses de brigands de la pensée moderne qui refusent d’admettre leurs échecs (méthode globale, foutaises à base d’apprenants autonomes), le doute, déjà fort, s’installe obstinément.
Parallèlement, pendant que l’Éducation Nationale merdouille donc avec acharnement, les technologies de l’information (et, logiquement, de la formation) ne cessent d’évoluer. Et les couinements égalitaristes de la FCPE sont l’occasion de rappeler que si la France s’est faite un devoir d’inventer des méthodes qui ne fonctionnent pas et de s’imposer des buts collectifs qui conduisent à la catastrophe, le reste du monde, lui, a embrassé ces nouvelles technologies et les a mises à profit, justement, pour amener l’instruction à des gens qui n’auraient jamais imaginé en bénéficier avant.
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Ici, je veux parler, par exemple, de la Khan Academy, qui met en ligne un contenu d’une incroyable richesse, gratuitement, allant de l’arithmétique jusu’aux intégrales et nombres complexes, en passant par la géométrie, balayant toute l’Histoire de l’Humanité, l’économie, la banque, la finance, la biologie, la physique, la chimie, l’informatique, l’astronomie, la médecine, les statistiques, et d’autre sujets encore… sous forme de vidéos didactiques.
Pour le moment, c’est en anglais, mais le sous-titrage ou le doublage dans les principales langues (dont le français) sont en cours. Imaginez et constatez par vous-même le plaisir que peut avoir un enfant, un adolescent ou un adulte, à disposer d’une vidéo claire sur un sujet de son choix, au moment où il le veut, avec le temps qu’il veut : la vidéo est interruptible à tout moment et on peut faire répéter le prof autant de fois qu’on le veut. On peut l’interrompre, passer lorsque le sujet est trop simple, y revenir plus tard…
Gratuitement.
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Ici, je veux parler des expériences de Sugata Mitra, un Indien qui aura découvert plus en quelques années de recherches sur le terrain que tous les fumistes à la sauce pédagogos en plusieurs décennies. La vidéo suivante est édifiante (elle vaut largement ses 17 minutes, prenez un moment pour la regarder si les questions de l’éducation vous intéressent).
Je pourrais aussi citer les recherches de James Gee, mais ce billet est déjà long : retenez simplement que des méthodes existent, innovantes mais basées sur du concret, du solide, de l’expérimental qui a déjà fait ses preuves, que ces méthodes remettent profondément en question les dogmes centralisateurs dont l’EdNat est férue, et qu’elles offrent des perspectives autrement plus prometteuses que les combats pour la disparition des devoirs du soir…
Arthur C. Clarke a finalement très bien résumé le siècle qui se profile : « A teacher that can be replaced by a computer … should be. » (un enseignant qui peut être remplacé par un ordinateur … doit l’être).
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