Magazine Cinéma
Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
Tel : 01 45 44 57 34
Métro : Notre-Dame des Champs / Vavin
One man show écrit par Vincent Roca
Mis en scène par Gil Galliot
Lumières de Philippe Quillet
Pré-texte : Il fait gros temps. Pluies de secondes, tourbillon de moments, vent de folie… On entend le clapotis dans les bassines. Il y a des courants d’air et ça fuit de partout. Dans les idées, dans les cintres, par les pores…
Il y a là un homme qui voudrait à la fois suspendre l’instant et l’avaler cul siècle. Clandestin du temps, il taquine l’horloge, sort les grandes orgues, invite les dieux, brave les empêcheurs en eau trouble, moquent joyeusement ceux qui roulent sur la bande d’apeurés d’urgence…
Vincent Roca, auteur et comédien, humoriste pendant onze ans au Fou du Roi sur France Inter, s’interroge, entre laps et perpète, sur ce temps qui ne nous quitte pas d’une semaine. Le futur se prend les pieds dans le présent et culbute dans le passé. Alors… vite, rien ne presse !
Mon avis : Cet homme fait partie d’une espèce rarissime, celle des « Aux mots sapiens »… Le titre de son nouveau spectacle est « Vite, rien ne presse ! ». Tout dépend quel sens on donne au mot « presser ». Car lui, pour qui le mot prime, il pratique sans vergogne la mot-pression. Lorsqu’il s’en empare d’un, il le presse, le triture, le malaxe, l’étreint, le pressure, le mêle à certains de ses congénères pour en produire un amalgame surprenant. Il se paye de mots, il joue avec en un étourdissant jeu de construction verbale. Jusqu’au dernier, il a systématiquement le fin mot sur tout.
Le cru 2012 de Vincent Roca est « es-temps-pillé ». En effet, pratiquement tout son spectacle est dominé par la présence du temps ; du temps sous toutes ses formes. Et pour l’évoquer, il fait appel à tous les artifices et à toutes les astuces que contient la langue française : le jeu de mot, bien sûr, mais aussi les allitérations et les onomatopées. C’est brillantissime. Le public se doit d’être attentif plus que jamais. On est sous un robinet dont on ne veut pas perdre une goutte tant c’est rafraîchissant, gouleyant, vivifiant. Qu’elle est belle et riche notre langue quand on s’amuse ainsi avec !
Pendant une heure et quart, sans un seul « temps » mort, j’ai vibré d’un plaisir inégalable. Autour de moi jaillissaient d’incontrôlables ô et ah de ravissement. On est comme à une messe. On communie. On s’abreuve du jus de prêche que nous distille cet homme si bien en chaire… Vous allez peut-être me trouver lyrique, mais il est impossible de ne pas être émerveillé par tant de virtuosité. C’est de notre culture, de notre patrimoine qu’il s’agit. La grammaire est démontée, la conjugaison retrouve tout son suc. Vincent Roca relève les conteurs. Servi par une mise en en scène pleine de poésie, s’appuyant sur une bande-son ô combien malicieuse, il divise son spectacle en plusieurs thèmes (j’en ai compté plus d’une quinzaine), multiplie les exemples, additionne les images. Et ça donne un sacré résultat.
Il y a longtemps que, via France Inter, je suis rocaphile. Mais il faut le voir - et surtout l’écouter – sur la longueur d’un spectacle. Même si c’est trop d’un coup, si c’est péché de gourmandise. Car il est impossible, pris que l’on est dans une formidable avalanche, de tout retenir. C’est trop riche, trop dense, trop subtil, trop inventif et hélas, trop volatile. On ne peut que rester sur la délicieuse impression du plaisir intense d’un orgasme eustachien (c’est un barbarisme ou je me trompe ?).
Ce n’est donc pas à demi-mot que je vous recommanderai ce spectacle à nul autre pareil. Il s’agit même carrément d’un mot d’ordre. Vous savez où se trouve le Lucernaire ? C’est du côté de Notre-Dame des chants. Et bon chant ne saurait mentir…