On l’a connu acide et provocateur, cultivé et gorgé de références, drôle et malicieux, impertinent et déroutant. Pendant des années, Karl Lagerfeld nous a régalé de son personnage hors norme. On s’est tous repus de ses bons mots, de ses méchancetés habiles sous lesquelles pointait une riante auto-dérision. Karl Lagerfeld était un personnage. Un vrai. De ceux qui nous laissent imaginer que tout est encore possible. Ce petit bonhomme coincé dans son uniforme de modeux était capable de lancer les pires horreurs avec une décontraction rafraîchissante. Il osait, et nous on se marrait. Il était jubilatoire. Oui mais voilà, de personnage Karl Lagerfeld est devenu caricature. De iconoclaste et touche à tout il est devenu homme à tout faire. La voiture-balai de la mode qui ramasse tout sur son passage.
Tout a débuté lorsqu’il nous a sorti sa nouvelle muse, un petit gars au demeurant sympathique, avec un physique de boy’s band comme on imaginait plus en voir un jour, et un charisme de croque-monsieur. La descente fashion s’est poursuivie avec Zahia qu’il a shootée en cocotte de luxe. Un corps de déesse certes, mais niveau classe on se rapproche plus de Régine que d’Audrey Hepburn. Il se murmure que le monsieur aurait chopé 1 million d’euros pour dire du bien de la « courtisane ». C’est vrai que courtisane, ça fait tout de suite plus chic. Et pour finir, le monsieur s’emballe et nous avoue la semaine dernière qu’il n’a jamais mis les pieds dans un supermarché. En même temps qui l’aurait imaginé pousser son chariot chez Auchan en comparant les promos ? N’oublions pas les sorties régulières du type « elle est grosse » (la chanteuse Adèle), « elle est moche », (la petite fille d’honneur de Kate et William qui démarre plutôt mal dans la vie avec ce genre de commentaires) « elle est bien trop lourde » en parlant de Heidi Klum. Karl Lagerfeld aurait-il viré Tatie Danielle ? En cristallisant les vieux tics de la mode, il ne lui rend pas service. Le mépris et l’arrogance ont remplacé une certaine liberté de ton qui faisait sourire. Le bonhomme s’est confit dans une posture qui n’amuse plus que lui. Il est devenu sa propre égérie, une silhouette sur une bouteille de Coca Light qui vénère la minceur, la beauté, et donne des leçons de bon goût. L’apôtre du « do and don’t ».
Certes, la mode qu’il crée pour Chanel est toujours aussi sublime, mais aujourd’hui son créateur s’en est affranchi. Il fallait qu’il s’extrait du catwalk Chanel pour briller lui et lui seul. D’où H & M, Coca-Cola, Optic 2000, Petit Larousse, Steinway, Barbie, Lenôtre, Karl Largerfeld est partout et n’importe où. A quand Picard, Pampers et Hippopotamus ? Trop de Karl Lagerfeld, tue le Karl Lagerfeld. Il était drôle et décalé quand il faisait la promotion du fameux gilet jaune pour le compte de la prévention routière. C’est le Karl qu’on aimait. L’homme qui n’était pas dupe de la mode et de ses excès, et qui les transformait en petits bijoux d’humour décalé. Ce Karl là n’est plus, il a fini par se prendre au sérieux. On l’imaginait finir en grand monsieur, on se retrouve devant Tatie Danielle.