Jeu en ligne : prendre le problème à la racine

De nos jours, la période des générateurs de nombres pseudo aléatoires (GNPA) est si grande qu’aucun appareil de jeu ne parviendra à en utiliser plus qu’une plage infinitésimale, même en cent ans. La portion du GNPA qui sera exploitée par l’appareil dépend d’une racine (en anglais, seed) que le concepteur des jeux choisit. La racine peut pointer vers des séquences relativement monotones d’événements, comme elle peut pointer vers une séquence pleine de rebondissements. Le choix de cette racine est primordial pour l’évaluation de l’intégrité des logiciels de jeu en ligne. Mais, ce choix n’est pas examiné lors de la certification des GNPA.

On entend couramment qu’il suffit de choisir la racine en fonction de la date et de l’heure pour s’assurer que le GNPA devienne véritablement aléatoire. Dans certains jeux de loterie vidéo, à chaque fois que le joueur presse le bouton de départ, le logiciel lit l’heure et redéfinit une nouvelle racine avant de générer les résultats. Parce que personne ne contrôle vraiment, à la milliseconde près, à quel moment le joueur va presser le bouton, la détermination de la racine serait aléatoire. Comme cela a été mentionné dans un commentaire, le concepteur du logiciel peut définir la racine en fonction d’autres sources telles que la chaleur du microprocesseur. Des jeux branchés sur Internet peuvent calculer une combinaison des fluctuations météorologiques lues sur des bulletins en ligne. L’imagination ne manque pas.

Mais, comment le concepteur du logiciel utilise-t-il ces données tirées d’événements potentiellement aléatoires? Il le fait certainement pour empêcher le joueur d’arriver à prédire les résultats. Par contre, ce calcul peut simplement choisir aléatoirement une racine parmi une liste de racines pointant toutes vers des séquences d’événements ayant un profil particulier. Encore là, la certification des GNPA ne fait pas cet examen. L’affirmation selon laquelle les racines sont générées à partir de données imprédictibles pour le concepteur ne veut rien dire tant qu’il n’est pas vérifié que les racines ont le potentiel de pointer vers n’importe quelle plage du GNPA, à tout moment, et ce de manière imprédictible.

Cette vérification n’est pas encore faite de manière à garantir l’intégrité du jeu en ligne. On peut avoir foi dans le professionnalisme de l’industrie du jeu. Mais, c’est plus une question de foi que de science et … surtout d’histoire. On n’a pas idée à quel point la réalité de l’industrie du jeu est loin de l’image d’organisations méga-contrôlées qu’on s’en fait.

Il y a longtemps il est vrai (en 1995), le président de Loto-Québec admettait avoir tiré la leçon qu’il était très risqué de se fier sur des organismes externes de contrôle en matière de jeu. En effet, en avril 1994, un homme avait gagné trois fois de file le lot maximal du keno au casino de Montréal. Il aurait pu continuer à gagner encore longtemps si le casino n’avait pas rapidement débranché l’appareil. Témoignant devant la Commission du budget et de l’administration du gouvernement du Québec ([15 mars 1995, cliquez sur le lien Jeu Keno pour les débats à 11 :30), le président de Loto-Québec a expliqué avoir eu confiance en cet appareil parce qu’il avait été certifié par la Nevada Gaming Commission. Lorsque la police a fait enquête, il s’est avéré qu’il manquait trois puces électroniques à l’intérieur de l’appareil. L’horloge de l’appareil était absente de sorte qu’à chaque interruption de courant, pour effectuer des tests hebdomadaires, la racine du GNPA était remise à son état initial. Rapidement, un joueur a remarqué la répétition de la séquence des résultats et en a tiré profit. Le témoignage du président de Loto-Québec scie les jambes.

Faut croire que Loto-Québec a la mémoire d’un poisson rouge.
Photo : Aaron Logan