Voici le phénomène de ce début d’année. The Hunger Games détruit tout sur son passage avec un box office exceptionnel (troisième meilleur démarrage de tous les temps aux Etats-Unis), une jeune actrice (Jennifer Lawrence) qui arrive dans la liste des talents hollywoodiens à suivre et un buzz savamment entretenu grâce à la participation d’Arcade Fire dans la bande originale. Tout cela fait-il néanmoins un bon film ? La réponse est non, même s’il faut reconnaître à ces Hunger Games des intérêts non négligeables.
Pourtant, tout aurait pu mal partir. En effet, adapter un succès littéraire n’est pas forcément une bonne idée, surtout quand il cible une population adolescente. Il ne faut pas voir de condescendance dans ces lignes. Néanmoins, viser une audience si restreinte peut cadenasser le film dans son chemin vers les quêtes d’une ouverture publique large et d’une certaine forme d’absolu cinématographique. A ce petit jeu, le film reste en surface, autant dans sa forme que dans son fond, afin de ne pas heurter ses spectateurs qui sont caressés dans le sens du poil. Le récit avance correctement, certes, tout au long des deux heures et demi du métrage. Cependant, il est d’une linéarité typique et enchaîne les séquences et les figures archétypales. Le parcours passe ainsi de l’introduction (identification de l’héroïne) à la formation (d’abord en manque de confiance puis en gagnant en sûreté) jusqu’à la situation finale où l’héroïne va se révéler au grand jour et défier les puissants. Il n’y a donc pas de réelles nouveautés dans ces Hunger Games qui entrent plus dans une logique de divertissement classique d’un blockbuster que de réflexion artistique. Pourtant, le métrage n’en demeure pas moins intéressant, même si les thématiques ne sont pas suffisamment déployées pour que le film ne soit pas trop compliqué à suivre.
Il est vrai que les sous textes du film sont nombreux et arrivent tant bien que mal à relever le niveau. Ainsi, le propos sur un monde dopé à la télévision n’est pas sans rappeler ce qui se passe actuellement. Les acteurs sont célébrés par un public qui ne pense qu’à l’instant présent. Lorsqu’ils jouent le jeu à fond, les premiers sont fiers de participer à ces jeux barbares dans une logique de gloire éphémère ; les seconds remplacent ces nouveaux héros aussi vite que les petits-fours dans leur bouche. Les décideurs, quant à eux, se révèlent d’un cynisme malveillant. En n’épargnant personne, The Hunger Games nous parle finalement d’une société du spectacle factice, vaine et décérébrée. Néanmoins, la mise en scène n’est pas toujours digérée et on aurait voulu que le cinéaste joue davantage avec les multiples possibilités. Ainsi, des points de vue de caméra multiples, des contre champs plus nombreux sur l’audience auraient pu être des pistes formelles à explorer. Ce n’est pas le cas et c’est bien dommage car le film aurait pris la tournure d’une entreprise plus sérieuse.
De plus, le film dégage un propos politique rare et, il faut bien l’avouer, d’une belle précision. C’est la plus grande qualité du film. Avec ces treize districts au cœur d’un système, le projet de The Hunger Games propose une métaphore de la construction des Etats-Unis. Rappelons-nous, ce sont bien treize colonies qui ont défié l’Angleterre au 18ème siècle. Cette rébellion a conduit à la guerre d’Indépendance puis à la naissance de la nation américaine. Ici, ces districts, du moins certains d’entre eux, essaient de lutter contre l’oppresseur. Pourtant, le métrage ose un discours critique. En effet, ces districts sont fermés entre eux. Les différents peuples ne se connaissent pas autrement que par idées reçues. Avec ce refus de la communication et du mélange, ces régions cristallisent une logique communautariste. Ainsi, au détour d’une très belle scène, le cinéaste convoque un échange qui va faire vaciller le pouvoir. Il est alors indéniable que The Hunger Games croit en ce propos. Faut-il y voir une dénonciation de l’utopie fondatrice américaine et du fameux melting pot ? Les questions méritent d’être posées. A cette première lecture politique, s’en ajoute une seconde. En effet, le dit oppresseur est situé au Capitole. Cette localisation est d’autant plus importante que le Capitole est le siège officiel du Congrès Américain. C’est donc le cœur de la démocratie américaine qui a changé de statut. The Hunger Games met ainsi en garde contre la récupération des symboles de liberté au profit de la barbarie et sur la mauvaise direction que prennent les Etats-Unis. Nous pouvons néanmoins regretter une énorme incohérence. Le treizième district n’est jamais réellement montré alors que présent dans le livre et dans les premiers discours du film. Le réalisateur a préféré se concentrer sur ses héros de la douzième délaissant cette richesse thématique. Là aussi, le film refuse une gravité qui lui aurait été bénéfique.
Par contre, le casting est de qualité. Lenny Kravitz est clairement une bonne idée. Le chanteur, on le sait, est friand de mode. Son rôle lui colle donc parfaitement à la peau. Stanley Tucci cabotine à outrance. Surtout, il est bon de retrouver Woody Harrelson dans un rôle à sa démesure. A leurs côtés, les décors, costumes et autres artefacts sont suffisamment kitsch pour que cette démonstration de surenchère, et de mauvais goût, emporte l’adhésion. Mais c’est surtout aux jeunes auxquels il faut penser. Ils s’en sortent tous bien et ont le parfait physique de l’emploi. Avec leur petite tête blonde, ils sont pour la plupart la parfaite figure de l’adolescent américain moyen. Tout cela est très ironique surtout quand le récit les amène à s’entretuer. Nous sommes à ce moment au comble de la monstruosité de ces jeux où la vulgarité, la barbarie sont un fond de commerce efficace et rentable. Pire encore, l’échappatoire est d’un cynisme confondant. L’amour comme solution ? Bien entendu. Et même s’il est factice ? Pour sûr, du temps qu’il arrive à provoquer l’empathie chez le téléspectateur. La critique sur la société du spectacle est alors d’autant plus virulente. Il existe pourtant un problème. Cette situation de combat juvénile est bien trop proche de Battle Royal de Kinji Fukasaku pour être totalement honnête. Et quand le cinéaste japonais représente frontalement une violence qui met mal à l’aise, Gary Ross l’occulte grâce à une réalisation sans âme pour ne pas choquer son public. C’est la dernière grande preuve qui fait rester The Hunger Games dans une platitude que les multiples enjeux sous-jacents ne méritent pas.
The Hunger Games est intéressant mais facile. En effet, il est trop grand public pour pouvoir réellement passionner et pour oser des propos plus en profondeur. C’est comme si le film n’arrivait à penser son potentiel ambitieux. Il en a pourtant largement les capacités. En ces termes, il ressemble à John Carter, autre métrage épique, qui était constamment entre deux eaux. Voici donc un projet sacrifié sur l’autel mercantile. La chose est ironique. C’est exactement ce que le film voudrait dénoncer.